Crédit photo : Manuel Moutier

Entrevue avec le scénariste Xavier Legrand pour la sortie du film Le Successeur.

Avant tout un homme de théâtre, Xavier Legrand se distingue en 2013 avec son premier court métrage, Avant que de tout perdre, qui méritera un César ainsi qu’une nomination aux Oscars. En 2017, il scénarise et réalise son premier long métrage, Jusqu’à la garde, qui reçoit 5 Césars, dont celui du meilleur film et du meilleur scénario. Il nous revient avec le surprenant Le Successeur, adaptation libre du roman L’ascendant d’Alexandre Postel.

Qu’est-ce qui vous a plu dans le roman et qui vous a donné le goût de vouloir en faire une adaptation ?
C’est la situation extrême devant laquelle se trouve le personnage et comment il réagit à ce truc, qui est juste innommable. C’est ce qui m’intéresse dans cette histoire. En lien avec mon premier film, Jusqu’à la garde, j’avais aussi envie de reparler du patriarcat, mais comment celui-ci écrase aussi les hommes et les fils.

À certains égards, votre film est très différent du bouquin. Quel a été le chemin pour vous rendre jusqu’à votre propre version de l’histoire ?
Dans l’histoire originale, le personnage principal ne travaille pas dans la mode. Il vend des téléphones. Comme on assiste à une chute du personnage, j’ai voulu trouver symboliquement une sorte de statut social où on le voyait au sommet afin que la chute soit encore plus brutale.

Quel était le défi principal dans l’écriture du scénario ?
Dans le bouquin, nous sommes beaucoup dans sa tête. Nous comprenons le cheminement de ses décisions. Pour le film, à moins d’utiliser la voix hors champ, c’était un peu compliqué. J’ai essayé de trouver plein de choses qui allaient nous permettre de suivre ce personnage. Le défi est donc de donner une cohérence aux incohérences du personnage.

Votre film se déroule majoritairement au Québec. Pourquoi ce changement par rapport au livre ?
Le roman se situe en France et le personnage principal voit toujours son père annuellement à Noël. Moi, je voulais qu’il n’ait plus aucun lien avec lui, qu’il soit un transfuge de classe, voire de pays et d’accent. Le Québec s’est donc imposé, car je voulais un pays loin, mais en même temps francophone.

Dans quel coin avez-vous tourné ?
Nous avons trouvé une maison à Repentigny dans laquelle nous avons également tourné les séquences intérieures. Évidemment, nous avons fait une grande intervention sur le plan du décor, mais tout a été filmé sur place, même au sous-sol.

Pour Jusqu’à la garde, vous aviez passé beaucoup de temps devant les tribunaux. Cette fois-ci, qu’avez-vous fait comme préparation ?
Pour l’écriture, j’ai passé une semaine dans les salons funéraires, à les observer organiser des enterrements (rire). J’ai également assisté à des répétitions et des présentations de défilés de mode de haute couture. J’ai eu la chance de suivre les maisons Dior et Chanel. C’était pour comprendre leur univers.


Xavier Legrand, homme de théâtre acclamé, révélé par son court métrage primé Avant que de tout perdre, confirme son talent avec le puissant thriller Le Successeur.

Votre scène d’ouverture du défilé de mode est une magnifique mise en abîme. Comment l’avez-vous conçue et était-ce compliqué à tourner ?
Je suis parti de l’image de la spirale, du vertige. Le thriller, c’est le tourbillon. Plus on avance, plus l’étau se resserre. Cette image est donc venue assez rapidement. C’était complexe dans la mesure où c’est une scène qui coûtait cher à tourner parce qu’il y avait beaucoup de plans et de figurants et que nous n’avions qu’une journée pour la faire (rire). C’était donc compliqué sur le plan du temps. Après, le dispositif était assez simple une fois que la scénographie était en place, alors qu’on suivait ou précédait les mannequins.

Qu’est-ce qui vous a motivé à choisir Marc-André Grondin pour le rôle principal d’Ellias ?
Marc-André est un acteur solide et sain. Il est sur les plateaux depuis qu’il est jeune. Il a un sens du jeu. Et j’avais tout simplement envie de le voir dans ce type de rôle, celui d’un homme qui morve, qui chiale, qui se fait pipi dessus (rire). Je pense que c’est ce qui a été éprouvant et aussi amusant pour lui.

Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Yves Jacques, qui nous a dit combien il avait été heureux de jouer enfin un rôle de gars « ordinaire », lui qui est souvent appelé à jouer des intellectuels. Pourquoi ce choix ?
Yves est un acteur prodigieux que je connaissais sur scène. Je l’ai aussi connu dans la vie et il est devenu un ami. Ce n’était pas envisageable que je fasse un film au Québec sans lui (rire). Je n’avais pas réalisé à quel point il était sollicité souvent pour le même type de rôle et lorsqu’il a vu le film, il m’a dit qu’il reconnaissait sa famille dans son jeu, chose qu’il n’avait pas l’habitude de faire. Il n’était que lui dans le film, sans artifices.

Avez-vous travaillé avec vos comédiens en amont de la production ?
Oui, oui. Si je suis le directeur de comédiens que je suis, c’est parce que je suis acteur. J’aime me documenter. Je leur avais donc donné plein de choses. Surtout à Marc-André, j’ai donné des articles et documentaires sur la mode afin qu’il puisse mieux comprendre ce monde.

Votre fin ouverte, surtout en ce qui concerne le personnage d’Yves Jacques, était voulue dès le départ ou elle est venue en cours de montage ?
C’était dans le scénario. À sa lecture, certains posaient des questions sur la fin, mais, pour moi, cette partie de l’intrigue est secondaire. Ce n’est pas le sujet du film. Ce n’est pas nécessairement important.

Est-ce difficile de tourner un thriller, de maintenir ce niveau d’anxiété chez les comédiens dans vos prises ?
Il faut se préparer beaucoup. Le film était tout découpé, très minuté. J’accorde beaucoup d’importance à la configuration des lieux et aux accessoires. Je répète beaucoup dans ma tête puisque j’utilise souvent le plan-séquence. C’est bien d’avoir de longs plans, mais il faut quand même qu’il se passe quelque chose (rire). Laisser tourner pour qu’il ne se passe rien n’est pas intéressant. Tout est donc détaillé. Mais c’est aussi une part d’instinct.

Malgré le succès de votre premier film, vous avez mentionné que Le Successeur a quand même été complexe à financer.
Ç’a été très difficile. Je crois que plusieurs s’attendaient à ce que le réalisateur de Jusqu’à la garde fasse autre chose, mais pas ça. Mais je l’ai fait quand même (rire).

Le drame psychologique Le Successeur prend l’affiche le 2 février.

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