Pour sa célèbre scène du meurtre sous la douche dans le film Psychose, Alfred Hitchcock a utilisé un melon pour reproduire les sons du couteau qui pénètre la peau de son personnage. Et pas n’importe quel melon… Car des melons de différentes variétés ont été poignardés avant que le mythique réalisateur arrête son choix sur le melon vert, plus ferme et moins creux que le melon d’eau. En fait, ce que cherchait le cinéaste, c’était « le » son le plus réaliste pour les besoins de sa scène.
Au cinéma, il y a donc des artistes qui se spécialisent dans l’art de produire des bruits. Nous les appelons les bruiteurs. Grâce à leur créativité et à leur ingéniosité, les sons qu’ils recréent en studio apportent beaucoup de réalisme au montage final d’un long métrage et rendent le tout plus immersif pour les spectateurs. On fait aussi appel aux bruiteurs lorsque certains sons n’ont pas été bien captés ou soulignés lors du tournage.
Afin d’en apprendre davantage sur ce métier plutôt méconnu de l’industrie du cinéma, le magazine MonCiné s’est entretenu avec Guy Francœur, bruiteur québécois qui pratique ce métier inusité depuis plus de 30 ans. Dans sa filmographie, nous retrouvons de nombreux films québécois, mais également des films américains tels qu’Halloween prend fin et, plus récemment, Le Menu, un « thriller » culinaire de Mark Mylod. Sons d’ustensiles, vacarme de vaisselle, clapotis de versage de vin en coupe à la tonne et de multiples cliquetis de pas : ce ne sont que quelques exemples des bruits que Guy Francœur a dû interpréter dans son studio.
Mais des bruits, ça s’interprète vraiment? Pour un bruiteur, la question ne se pose pas. Ils interprètent les bruits au même titre qu’un musicien qui, avec son instrument, joue dans tous les registres d’émotion. « On va travailler davantage les intentions des comédiens, raconte Guy Francœur. Si un comédien est agressif ou à l’inverse bien reposé et joyeux, il ne marchera pas de la même façon. On essaye donc de rentrer dans la tête de tous les personnages pour leur donner un caractère spécial. On n’est pas loin, à la limite, du mimétisme. » En résumé, pour être un bon bruiteur, cela prend non seulement une bonne paire d’oreilles, mais il faut aussi être fin observateur. Les nuances et les détails du jeu des comédiens sont importants à analyser et tout se joue dans la subtilité des mouvements.
Dans le bruitage, il y a beaucoup de place pour la créativité. Et absolument tous les moyens sont bons pour arriver au résultat parfait. Par exemple, pour la scène où un bébé vélociraptor vient au monde dans le film Le Parc jurassique de Steven Spielberg, un bruiteur a enregistré un cornet de crème glacée se faire écraser afin de simuler le bruit de la coquille d’un œuf qui éclot et se fend. C’est aussi ça la magie du cinéma et nous serions bien étonnés de voir tout ce qui peut se trouver dans le studio d’enregistrement d’un bruiteur… « Je peux prendre des souliers d’homme pour faire les bruits d’une femme, et des souliers de femme pour les bruits d’un homme qui marche. Tout dépend du contexte du projet, explique Guy Francœur. Quand on commence à faire du bruit pour des scènes de bagarre, on s’en va à l’épicerie, rigole-t-il! » Il rit de bon cœur, car c’est pourtant vrai. En bruitage, les fruits et les légumes sont souvent utilisés pour simuler des bruits d’impacts corporels. Par ailleurs, les pâtes alimentaires peuvent être utiles afin de simuler des os qui craquent. Et ainsi de suite… Vous comprendrez que nous arrêterons ici afin de ne pas livrer tous les secrets des bruiteurs et conserver, tout de même, un peu de mystère à l’affaire.
En moyenne, pour Guy Francœur et son équipe (constituée notamment de preneurs de son), cela peut prendre de huit à douze journées de travail pour reproduire tous les bruits d’un long métrage. Pour ce faire, il utilise des accessoires, mais surtout son corps, sans contredit l’instrument principal du bruiteur. Avant tout, c’est un travail plus physique que nous pourrions le croire; il nécessite une excellente forme. Passer toute une journée de travail à marcher et à enregistrer des sons de pas différents, c’est souvent le quotidien des bruiteurs. Les petites blessures sont aussi à prévoir. « Tu ne fais pas ce métier-là si tu as peur de te faire mal ou de te salir, ça fait partie du jeu », estime Guy Francœur. D’ailleurs, l’importance du corps et de sa performance serait peut-être le seul petit ennui du métier. Guy Francœur est le premier à admettre que malgré ses années d’expérience, son corps, lui, vieillit et « craque » de plus en plus, dit-il en riant. Il est vrai qu’avec les microphones tout près de lui, tout s’entend! Sinon, Guy Francœur adore son métier et nous lui souhaitons de le pratiquer encore bien longtemps.
Même s’il consiste à faire du bruit, le métier de bruiteur passe souvent sous le radar lorsque nous parlons de cinéma. En effet, il est rare qu’une critique de cinéma s’attarde au bruitage d’un film. On ne dit pas : « Le bruitage était exceptionnel »! On le passe sous silence. Et c’est tant mieux, puisque le signe d’un bon bruitage est, paradoxalement, le fait que nous ne l’entendons pas. C’est-à-dire que le bruitage doit rehausser l’expérience du spectateur, mais ne pas le distraire. Le bruitage fait appel à notre quotidien, aux bruits qui font partie de nos vies, mais auxquels nous portons très peu attention. |