Image tirée du film L’Homme de la cave (2022)
Entrevue avec François Cluzet pour la sortie du film L’Homme de la cave
Le bouleversant long métrage L’Homme de la cave nous offre une autre performance d’acteur époustouflante de François Cluzet. Dans ce film réalisé par Philippe Le Guay (Normandie nue, Molière à bicyclette), le comédien incarne Jacques Fonzic, un prof au chômage à la recherche d’un logement, qui loue la cave d’un couple joué par Jérémie Renier et Bérénice Bejo. Or, il s’avère que Fonzic a perdu son emploi pour avoir tenu des propos antisémites. Apprenant le tout, le couple tentera alors d’évincer le locataire extrémiste. Cluzet qui a interprété des personnages troublants à l’écran à quelques reprises, pensons à L’Enfer de Claude Chabrol ou au drame À l’origine de Xavier Giannoli, nous livre des détails sur la vie de Fonzic et sur l’importance de mettre en scène ce type d’histoire au cinéma.
François, L’Homme de la cave tire son origine d’une histoire vraie qui serait arrivée à des proches du réalisateur Philippe Le Guay. C’est le cas?
Oui, tout à fait. J’ai d’ailleurs rencontré le couple à qui c’est arrivé et ça m’a permis de voir à quel point il a été déstabilisé par cette aventure qui l’a fait beaucoup souffrir. Surtout la femme, car elle avait perdu plusieurs membres de sa famille pendant la Shoah (génocide des Juifs par le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale). Alors de se retrouver avec un antisémite comme locataire, dans sa cave, ça a été épouvantable pour elle. Le type, chassé du Front national d’ailleurs, a été évincé et condamné à la prison au final, mais à la suite de plusieurs procès.
Jouer un monstre au cinéma, c’est un beau défi pour un acteur.
Absolument et je pense que ça fait partie du devoir des interprètes de jouer de tels monstres. De plus, ils sont rares dans le cinéma français. Alors pour moi, c’était une chance de pouvoir incarner Fonzic, surtout qu’il y a une vague de complotisme et d’antisémitisme qui fait rage en France actuellement. Ce phénomène, comme le racisme, a décuplé sur notre territoire. Même des candidats déclarés aux élections y vont d’affirmations innommables. Donc, il est de notre devoir de représenter ces monstres à l’écran, de montrer comment ils agissent au quotidien, car ça permet aux gens de les distinguer dans la rue. Ce film, c’était pour moi le moment idéal de m’engager politiquement et socialement.
[…] il est de notre devoir de représenter ces monstres à l’écran, de montrer comment ils agissent au quotidien […]
Peut-on mettre de côté rapidement la psychologie d’un tel personnage après une journée de tournage?
Oui. Moi, je sors très vite de mes personnages, peu importe le rôle. L’idée, c’est que j’ai beaucoup de plaisir à travailler en collectivité et à contribuer à la bonne ambiance sur un plateau. J’en suis responsable et je dois valoriser mes partenaires. Alors mon personnage, il fait partie d’un jeu. Un comédien doit avoir envie de jouer comme un enfant dans une cour de récréation. Mon plan de travail est très clair, du début à la fin. Après le dernier jour de tournage, mon personnage n’existe plus. Je rentre chez moi retrouver mes enfants qui sont merveilleux, ma femme qui est magnifique et voilà, j’ai de la chance. Bien sûr, certains acteurs travaillent différemment par crainte de perdre de la spontanéité. Moi, je travaille sur l’étude du personnage en amont. Après, je tente de faire vivre ce qui est écrit comme un musicien s’attèle aux partitions en étant conscient qu’il fait partie d’un orchestre. Tout ça, c’est en fonction de faire un film qui sera réussi. Moi, ma vie est réussie. Je n’ai pas à être plus connu ou plus riche, j’ai simplement à rendre le film et mes partenaires meilleurs. J’aime mon métier et mon plaisir de jeu, c’est aussi de rendre humain mes personnages que ce soit des salauds ou des héros.
Justement, Fonzic est déstabilisant, car c’est un salaud qui joue à la victime. C’est l’histoire d’un enseignant qui, par ses propos, perd son emploi, mais il devient la victime à son tour d’un couple qui veut le mettre à la rue.
C’est effectivement ce qui est fascinant. C’est ce que ces gens-là recherchent, la victimisation. L’essentiel du scénario autour de Fonzic, c’était de le rendre humain, d’apporter des nuances qui font réfléchir le spectateur. Il est calme et il affirme son droit de poser des questions en comparant le génocide juif à celui des Amérindiens, tout ça pour minimiser la Shoah. Et l’adolescente du couple a envie de l’écouter, car il a du bagout et il est charmant à ses heures. De plus, il vit dans une cave, sans salaire, donc on le prend en pitié. D’ailleurs, aujourd’hui, un adolescent sur deux n’a jamais entendu parler de la Shoah. La guerre, c’est grave. Mais l’extermination de gens désarmés, c’est pire. L’éducation nationale a un rôle à jouer pour que l’on se souvienne de tout ça. Au moins, les jeunes, ils sont concernés par l’enjeu actuel des changements climatiques et bien davantage que ma génération. Mes enfants n’ont pas de permis de conduire, ça ne les intéresse plus, ils ne veulent pas acheter de voiture, ils misent sur le transport en commun. Bref, de ce côté, je pense qu’ils sont conscientisés et qu’ils vont changer les choses et ça, c’est très encourageant.
Vu dans la comédie La Brigade en juin dernier, François Cluzet devrait revenir au grand écran au début de 2023 dans Mascarade de Nicolas Bedos, aux côtés de Pierre Niney et de la trop rare Isabelle Adjani. |
Cette entrevue a été réalisée dans le cadre des Rendez-vous du cinéma 2022 d’UniFrance.
