Image tirée du film Django (2017)

Le chanteur Nick Cave est devenu au fil des années une icône du rock adulée par des milliers de fans dans le monde avec des albums parfois très rock, parfois sombres et intimistes. Ses tournées endiablées ont établi sa réputation autant d’ange ténébreux que de bête de scène. Bien que moins célèbre, Warren Ellis, son complice depuis le milieu des années 90 au sein des Bad Seeds (groupe de musiciens accompagnateur, comme le Crazy Horse de Neil Young ou les Heartbreakers de Tom Petty), doit recevoir tout le crédit créatif qui lui revient pour son travail aussi bien sur disque que sur scène ou pour le cinéma. Car les deux musiciens, en dehors de leur vitrine rock, s’investissent depuis maintenant vingt ans dans la musique pour le grand écran. Avec la sortie prochaine du majestueux documentaire La Panthère des neiges, dans lequel la musique d’Ellis épouse les reliefs montagneux du Tibet et où la voix de Cave, douce et caverneuse, signe tout en beauté la finale, il est bon de revenir sur le parcours cinématographique des deux Australiens d’origine.

C’est en 2005 que le cinéaste John Hillcoat, lui aussi Australien, offre à Cave et Ellis de composer les morceaux instrumentaux du film The Proposition, dont le scénario a d’ailleurs été écrit par le chanteur. Le long métrage est un western d’atmosphère tourné dans l’arrière-pays désertique de l’Australie. Les images illustrant le récit concordent parfaitement avec l’humeur musicale des deux artistes, qui aiment bien mettre de l’avant divers instruments habilement maîtrisés, à savoir le violon, la guitare et la mandoline pour Ellis et, bien sûr, le piano pour Cave.

Après One More Time with Feeling, sorti en 2016, le cinéaste Andrew Dominik lancera en 2022 un second documentaire sur Nick Cave, intitulé This Much I Know to Be True. Celui-ci a connu une fort belle avant-première au tout dernier Festival du film de Berlin. Le documentaire s’intéresse à la création par le chanteur, toujours accompagné par Ellis, de Ghosteen et Carnage, deux disques teintés par la mort accidentelle de son fils Arthur Cave, en juin 2015, décès qui sera suivi par la mort, trois ans plus tard, du claviériste des Bad Seeds, Conway Savage.

Les critiques sont élogieuses pour ce film au budget modeste et la musique du tandem, elle, remporte le prix de la meilleure bande sonore à la cérémonie des Australian Film Institute Awards. Dès lors, les projets pour le cinéma se succèderont. Cave et Ellis, parfois en solo mais presque toujours à deux, concocteront les trames sonores de nombreux longs métrages comme The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, The Road, West of Memphis, Lawless, Quelques heures de printemps, Far from Men, Hell or High Water, Wind River, War Machine, Kings, Mustang, Bad Girl, Django, Gauguin – Voyage de Tahiti, Earwig. Presque toutes des œuvres filmiques qui ont en commun de mettre en scène des atmosphères brumeuses laissant transparaître des paysages de bout du monde sauvages et désertiques.

Dans ce contexte d’imagerie sonore, il n’est donc pas étonnant de retrouver ce printemps leur signature sur la musique de La Panthère des neiges, réalisé par Marie Amiguet et Vincent Munier et qui a obtenu récemment le César du meilleur documentaire en France. La Panthère des neiges nous fait voyager à travers les steppes et les monts enneigés du Tibet. C’est Warren Ellis qui, cette fois, est à l’origine des musiques instrumentales d’une aventure qui a aussi pris la forme d’un livre à succès de Sylvain Tesson. En entrevue, les deux cinéastes derrière le documentaire rappellent l’intensité des deux mois passés à plus de 5 000 mètres d’altitude au cœur du Tibet, à capter des images spectaculaires malgré le froid intense, immortalisant la vie des nomades (adultes et enfants) qui vivent en harmonie avec une nature aussi fascinante qu’aride où cohabitent les yaks sauvages et la rarissime panthère. La musique d’Ellis est ici méditative, spirituelle et ancrée dans ce territoire peu hospitalier pour l’homme.

La Panthère des neiges est né d’un projet de voyage du couple formé par le photographe animalier Vincent Munier et la documentariste Marie Amiguet. Accompagnés dans leur périple au Tibet par l’auteur Sylvain Tesson, ils désiraient tourner un documentaire sur ce voyage dépaysant. Sylvain Tesson devait, quant à lui, en profiter pour écrire un récit sur les coulisses de ce voyage. Son livre est sorti deux ans avant le documentaire, en 2019. Une fois en librairie, le succès fut instantané : 500 000 exemplaires vendus, et le prix Renaudot 2019 à la clé.

Le couple de documentaristes précisera que c’était un rêve que de travailler avec Warren Ellis. C’est d’ailleurs parce que ce dernier, marié à une Française, a un pied-à-terre à Paris, qu’il a facilement été contacté. Les deux cinéastes prenaient ses pistes comme musiques témoins avant de finalement lui envoyer le film une fois monté. « Ellis a été bouleversé par ce qu’il a vu et a dès lors voulu créer des musiques originales. Après coup, Nick Cave s’est joint à lui et en quatre jours, tout était finalisé. Ils ont donné de la hauteur au film », de conclure Marie et Vincent, enchantés par cette collaboration inespérée.

Précisons que le documentaire se clôt avec la fort belle chanson We Are not Alone, dont les paroles ont été écrites par Sylvain Tesson, une pièce bercée par la douce voix de Nick Cave. Sorti en 2021, l’album du film inclut aussi une pièce de la Danoise Agnes Obel, qui complète en beauté l’une des plus belles bandes sonores des dernières années. |

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