Entrevue avec l’autrice Kim Thúy pour la sortie du film Ru

Née au Vietnam, Kim Thúy immigre au Québec avec sa famille à la fin des années 1970 comme boat-people. D’abord avocate, elle délaisse ce métier après quelques années de pratique afin d’ouvrir un restaurant qu’elle opère de 2002 à 2007. En 2009, elle se lance dans l’écriture du roman Ru, qui devient un best-seller au Québec et en France. Pour cette œuvre, elle est lauréate du prestigieux prix du Gouverneur général en 2010. Ses livres sont traduits en 29 langues et distribués dans 40 pays et territoires. Au printemps 2022, le balado MonCiné a eu le plaisir de s’entretenir avec l’autrice alors que la production pour l’adaptation de Ru était entamée.

Comment réagit-on quand on voit en images ce qu’on a écrit?

C’était incroyable! Il faut dire que j’avais donné une liberté complète au scénariste Jacques Davidts et au réalisateur Charles-Olivier Michaud parce que je ne connais rien au cinéma (rire). Il faut laisser aller les experts! J’ai déjà vu le film du livre quand je l’ai écrit. Là, j’avais hâte de voir leur film à eux. J’ai passé beaucoup de temps à discuter avec les deux, pas pour leur donner des directives précises sur le film, mais pour leur expliquer le contexte, l’histoire derrière l’histoire. Ça fait maintenant 44 ans que je suis arrivée ici et je me souviens très bien des premiers mois qui étaient riches en changements. Il y avait tellement de nouveautés que je n’arrivais pas à tout absorber. Et ce, sans compter sur la bonté des gens et les gestes innombrables qui m’ont été donnés. C’est seulement aujourd’hui, pendant le tournage, que j’ai eu la chance de savourer geste par geste et de revivre cette reconnaissance que je n’avais pas à cette époque puisque j’étais trop jeune.

« J’étais sur le plateau pour la scène des soldats qui arrivent au village. Je n’ai pas de traumatisme dans la vie, mais ces images sont venues me chercher. »

Lorsque tu écrivais Ru, croyais-tu un jour en voir l’adaptation au cinéma?

À ce moment-là, je ne savais même pas si mon histoire allait être publiée (rire). En fait, lorsque j’ai commencé l’écriture, je m’amusais tout simplement avec les mots. Je ne savais même pas que c’était pour devenir un livre (rire). Le jour où le producteur André Dupuis a acheté les droits, je pensais qu’il le faisait que pour m’aider à recevoir un peu de sous, pour m’encourager. Je le trouvais très gentil (rire)! Puis, il m’a dit qu’il voulait vraiment en faire un film. Je lui avais répondu que c’était impossible, qu’il y avait trop de lieux différents et je ne pouvais pas concevoir comment la production trouverait autant de Vietnamiens pour le tournage (rire). Mais vous savez quoi, ils ont réussi à relever le défi. Chaque fois que je regardais les rushs, de courtes séquences filmées, les émotions venaient frapper. Premièrement, les images sont tellement belles et justes que ça fait mal, elles ont l’air si vraies. Charles-Olivier Martineau fait un film non seulement beau, mais très émotif, qui raconte une partie de l’histoire avec un grand H. J’étais sur le plateau pour la scène des soldats qui arrivent au village. Je n’ai pas de traumatisme dans la vie, mais ces images sont venues me chercher. Soudainement, les larmes ont monté et je me suis laissé aller (rire). C’était tellement bien tourné et, mon Dieu, les acteurs! L’actrice principale, Chloé Djandji, est d’une telle profondeur. Elle nous tient par les tripes et le cœur. Elle nous rentre dedans (rire)!

As-tu participé au processus de casting?

Pas du tout. Je ne connais rien à ça (rire). Mais j’étais sceptique qu’ils allaient trouver une jeune Vietnamienne capable de jouer ça. C’est drôle parce que porter le film à l’écran a pris quand même pas mal de temps avec différentes embûches en cours de route, mais je disais toujours à André Dupuis que c’était parce que la fille qu’on trouverait n’était pas encore arrivée au bon âge (rire). On l’attendait!

Est-ce qu’une partie du film a été tournée au Vietnam?

Non, parce que c’est extrêmement difficile d’obtenir des autorisations. On a pensé filmer en Thaïlande, puis la pandémie est arrivée. Au final, ils ont réussi à faire pas mal mieux que s’ils étaient allés sur les lieux. J’ai été tellement émue quand j’ai vu les décors de notre maison maternelle. Non seulement ils ont reproduit la lumière tropicale, mais aussi recréé les particules poussiéreuses dans l’air en agitant des rouleaux de papier de toilette. J’avais tellement l’impression d’être de retour à la maison que je veux amener mes parents sur le plateau (rire).

Est-ce que l’on pourra t’apercevoir dans le film?

Même pas! Ils n’ont pas voulu de moi (rire). Pourtant, je leur ai bien dit que j’étais volontaire (rire). J’aurais pu être dans le bateau ou une vendeuse ambulante, mais non. Je pense que je ne pourrai même pas voir le film parce que je vais pleurer du début à la fin (rire). Je tiens juste à mentionner que pour tout le monde impliqué dans le film, c’est un projet et non juste du travail. Il y a un amour dans les détails. C’est vraiment incroyable et j’ai hâte que les gens puissent le voir enfin! |

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