Crédit photo : Marie-Reine Mattera

Entrevue avec le conteur, musicien et scénariste Fred Pellerin pour la sortie du film L’Arracheuse de temps

Fred Pellerin n’a plus besoin de présentation. L’orgueil de Saint-Élie-de-Caxton, en Mauricie, a connu ces 25 dernières années un succès retentissant avec ses spectacles de contes et légendes enrobés de chansons, qui ont forgé sa réputation d’amoureux profond du terroir et de ceux qui l’habitent. Après Babine et Ésimésac, un troisième long métrage tiré de son imaginaire prendra l’affiche en salle le 19 novembre prochain. L’Arracheuse de temps, réalisé par Francis Leclerc, porte le même titre que le spectacle dont il est issu. Et selon Fred Pellerin, le public sera aussi ravi que surpris par la nouvelle forme que son récit prendra au grand écran. Rencontre avec l’artiste et scénariste qui a accepté de nous en dire plus sur ce film fantastique fort attendu.

Bonjour Fred, votre ligne téléphonique est bruyante, non?

Oui, car je suis en voiture, en direction de Saint-Élie. Je reviens de Saint-Sauveur. J’étais avec Éloi Painchaud. On vient de terminer l’enregistrement de la chanson thème du film. Il reste d’ailleurs quelques effets spéciaux à fignoler au montage et aussi la colorisation à faire (NDLR : nous sommes à la fin septembre).

D’où est venue l’idée d’adapter le spectacle d’origine en film?

Le spectacle remonte à 2008. L’histoire, elle, a été créée en 2007 à la suite du décès de mon père. Il est mort subitement et j’avais de quoi à régler avec ça. En psychologie, je crois qu’on appelle ça de la sublimation, soit de transformer un deuil en œuvre d’art, en quelque chose qui pourra être valorisé. Et ce deuil est devenu un spectacle de contes autour de la mort. Il fallait que je tue la mort. Des années plus tard, mon producteur Antonello Cozzolino m’a incité à scénariser le tout. C’était au moment où je travaillais avec Francis Leclerc sur l’adaptation de Pieds nus dans l’aube.

« Le défi, c’était de retrouver le ton ludique du conte. Il faut oublier le réalisme du cinéma et aller vers la fantaisie. »

Après Luc Picard pour Babine et Ésimésac, travailler sur une troisième adaptation de l’une de vos œuvres avec Francis Leclerc à la réalisation, ça allait de soi. Ce genre d’univers lui sied bien, non?

Ben oui! Il a amené mon imaginaire dans un truc jamais vu au cinéma d’ici. Il a une approche artistique étonnante. Le public va être désarçonné par la proposition de Francis. Avec Pieds nus dans l’aube, il m’invitait dans l’univers de son père et là, on a fait l’inverse, il est venu dormir dans ma maison. Notre travail, en totale collaboration, s’est super bien passé.

Le film a été tourné en pleine pandémie, à Saint-Armand, avec un budget important pour un film québécois, soit 7 millions de dollars.

Oui et il nous fallait un bon budget. En temps de COVID, les coûts ont augmenté. Le récit se passe en 1988 et en 1927. Il fallait donc recréer deux époques. Et ça fonctionne très fort à l’écran. Dans un premier temps, la grand-mère raconte à son petit-fils Fred l’histoire qui se déroule en 1927, dans un espace-temps « distorsionné » parce que c’est un conte. La magie dans le film existe de plusieurs façons, de manière théâtrale et aussi avec de la haute technologie. Tout tourne sur les efforts d’un village pour contrer la mort.

Les premières images du film et surtout des différents personnages nous plongent dans une certaine excentricité.

(Rire) Oh oui! Tous les acteurs sont rentrés là-dedans de façon tellement juste. Le défi, c’était de retrouver le ton ludique du conte. Il faut oublier le réalisme du cinéma et aller vers la fantaisie. C’est ce qui manquait pour moi dans Babine et Ésimésac. Les deux étages de fiction, 1927 et 1988, nous ont permis de rendre vivant ce délire-là à l’écran avec tous les acteurs.

Musicalement, à quoi ressemblera L’Arracheuse de temps?

Par rapport au spectacle, on est complètement ailleurs. Dans le film, on crée des ambiances touffues et denses. On fabrique de l’étrangeté et du mystère. J’ai fait des mélodies et Éloi Painchaud a fait une job colossale de composition et d’orchestration pour illustrer tous les changements de ton de l’histoire.

Fred, ça a beau être un récit campé dans le Québec profond des années 20, la trame narrative est universelle.

Absolument. Je parle de mon village depuis 25 ans et au départ, ce n’était pas destiné à rayonner à l’international. Je ne pouvais pas croire que même le village voisin s’intéresserait à mes histoires. Au fil des tournées, mes mots ont résonné dans la tête des gens en France, en Suisse, en Belgique et dans les Antilles. Cette part d’universalité vient des archétypes, des personnages. Toutes les traditions orales du monde ont leur sorcière, leur paysan qui veut marier la princesse, etc. L’Arracheuse, c’est d’ailleurs le conte qui m’a permis d’aller en Europe malgré un thème central qui est la mort. Ça touche tout le monde même si à la base ce n’est pas vendeur. Et pourtant, ça a marché. Les gens riaient du début à la fin avec une finale qui allait les poigner par endedans.

En terminant, jeune, est-ce qu’il y a un conte au cinéma qui vous a particulièrement marqué?

Oui, je me rappelle avoir vu Les Aventures du baron de Münchausen réalisé par Terry Gilliam. Le Baron, il existe dans plusieurs traditions orales dans le monde, sous différents noms. Au Québec, c’est un personnage comme Tranche-Montagne. Pour moi, cette adaptation du Baron au cinéma, ça a été une révélation. Le personnage, il ne se demande pas s’il y a du danger quand il s’installe sur un boulet de canon ou quand il ramasse des bobettes et des brassières pour en faire une montgolfière. Ça m’a vraiment marqué! |

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