CrĂ©dit photoâ: Unifrance/Lise Toide
Pablo AgĂŒero est un cinĂ©aste franco-argentin qui rĂ©side en France depuis 2001. En 2006, il remporte le prix du jury au Festival de Cannes pour son court mĂ©trage Primera Nieve. MonCinĂ© a pu sâentretenir avec le scĂ©nariste et rĂ©alisateur Ă lâoccasion de la sortie de Saint-ExupĂ©ry, son premier film en français. Lâhistoire relate dix jours pĂ©rilleux dans la vie du cĂ©lĂšbre auteur du classique Le Petit Prince, alors quâil Ă©tait pilote pour une compagnie postale aĂ©rienne.
Que reprĂ©sente Antoine de Saint-ExupĂ©ry pour vousâ?
Il reprĂ©sente la capacitĂ© de rĂȘver, pas comme simple Ă©vasion, mais en tant que dĂ©marche pour transformer la rĂ©alitĂ©â: rendre possible lâimpossible. Il Ă©tait dâabord aviateur. Pour lui, lâĂ©criture Ă©tait une consĂ©quence. Il disait quâil «âfaut dâabord vivre pour ensuite Ă©crireâ». Câest un Ă©crivain du vĂ©cu. Je mâidentifie beaucoup à ça.
Quelle part de réalité est présente dans le scénario ?
Tous les Ă©vĂ©nements et les personnages du film sont vrais. Parfois, les choses ont Ă©tĂ© un peu arrangĂ©es dans le temps afin de rendre le rĂ©cit plus efficace. Câest une aventure vraiment extraordinaire quâil a racontĂ©e dans son Ćuvre Terre des hommes.
Entreprendre un film dâĂ©poque de la sorte a dĂ» exiger un travail colossal en tant que rĂ©alisateurâ?
En fait, quand je fais un film, je tiens beaucoup Ă crĂ©er un univers nouveau qui ne soit pas rĂ©fĂ©rencĂ© Ă un autre film. Ăa, ce nâest pas Ă©vident. Câest beaucoup de pression. Faire un film dâĂ©poque, câest une excuse pour le producteur quâil faut tout refaire (rire). Câest ce qui mâintĂ©resse plus que simplement reproduire. Je tiens Ă mettre en scĂšne la version subjective de ces personnages et traduire cette sensation que ces gens ont vĂ©cue. Câest cette vĂ©ritĂ©-lĂ que je cherche.
Lâaspect visuel de votre film a un cĂŽtĂ© trĂšs onirique. Comment avez-vous approchĂ© cette façon de raconter votre histoireâ?
Pour construire cette reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ©, je me suis inspirĂ© de Saint-ExupĂ©ry lui-mĂȘme et de comment il a construit cet univers pour Le Petit Prince. Le film renvoie aussi aux origines du cinĂ©ma avec MĂ©liĂšs, qui travaillait avec des collages incrustĂ©s dans des images rĂ©elles. On a dâabord tournĂ© tous les dĂ©cors dans des conditions extrĂȘmes pendant un an avec une petite Ă©quipe pour que ce soit la nature vraie qui donne les teintes dorĂ©es et argentĂ©es au film. On est allĂ©s jusquâĂ lâextrĂȘme sud de la Patagonie dans des tempĂ©ratures trĂšs froides qui gelaient les camĂ©ras (rire). Il fallait trouver des moyens pour les rĂ©chaufferâ! CâĂ©tait ça, la matiĂšre premiĂšre du film. On nâa pas tournĂ© des dĂ©cors, mais des plans. On mettait la camĂ©ra et on imaginait oĂč allaient se trouver les personnages. On travaillait dans lâesprit de MĂ©liĂšs, de maniĂšre artisanale. Je dirais que câĂ©tait ça le plus difficile Ă concilierâ: faire un film Ă gros budget avec un esprit artisanal.
Comment avez-vous ensuite arrimĂ© ces images aux acteursâ?
On a tout construit en studio. Mais on a aussi ajoutĂ© de la matiĂšre premiĂšre. On a fabriquĂ© des nuages en studio et de la vraie neige (rire). Ils nâavaient jamais fait ça. Nous avons fait venir des types qui font des patinoires qui ont arrosĂ© le studio pendant quatre jours. On a travaillĂ© les images par couches quâon a ensuite mĂ©langĂ©es avant quâelles arrivent dans la boĂźte responsable des effets spĂ©ciaux.
Parlez-nous de vos choix de casting. Ătaient-ils pressentis dĂšs le dĂ©partâ?
Je suis dâabord parti de Louis Garrel parce que dans mon approche, je voulais capturer la quintessence dâun acteur plutĂŽt quâune ressemblance Ă Saint-ExupĂ©ry. Je voulais quelquâun qui Ă©voque son esprit aristocratique, mais qui est en mĂȘme temps nonchalant, rĂȘveur et drĂŽle. Il nây avait que lui dans ma tĂȘte et je me suis battu pour lâavoir. Pour la taille du film, il nâĂ©tait pas un acteur assez «âcommercialâ». Puis, entre-temps, il avait quelques films qui ont bien marchĂ© (rire). Pour Vincent Cassel, il est un ami de Garrel. Ils ont ce mĂȘme rapport de grand et petit frĂšres. Cassel est comme le hĂ©ros un peu agaçant et infaillible et Garrel, maladroit et intello (rire). Ăa les amusait de jouer ça entre eux. La femme de Guillaumet (Cassel) Ă©tait dâorigine suisse. LâidĂ©e quâelle ne soit pas une femme française, mais qui peut parler la langue, mâa fait penser Ă Diane Kruger qui a quelque chose dâintemporel et un cĂŽtĂ© glamour des annĂ©es 1930. Je suis donc parti de leur nature, de ce quâils sont. Je ne voulais pas de quoi de trop sĂ©rieux dans leurs caractĂ©risations.
La trame sonore du film est magnifique. Comment avez-vous travaillĂ© cet aspect avec le compositeur Christophe Julienâ?
Ă chacun de mes films, jâessaie dâoffrir au spectateur quelque chose quâil nâa pas encore vu ou entendu. Pour la musique, on a donc mĂ©langĂ© des instruments quâon nâa jamais entendus ensemble. On a pris le charango, une guitare minuscule Ă douze cordes des Andes, quâon a combinĂ© avec le thĂ©rĂ©mine et les ondes Martenot, un instrument Ă©lectronique des annĂ©es 1920. Du point de vue mĂ©lodique, je voulais quâon demeure assez classique, mais avec une tessiture quâon nâavait jamais entendue.
Quâest-ce qui a Ă©tĂ© le plus difficile dans la postproductionâ?
Le plus difficile, ce nâest pas la technique. Je dirais que câĂ©tait plus de trouver le ton juste. Et mĂȘme sur le plan de la promotion, câĂ©tait super compliquĂ©. Comment fallait-il le vendreâ? Comme un biopic classique ou un film dâaventureâ? Saint-ExupĂ©ry est un film pour lâenfant qui est en nous. Câest plus prĂšs de Miyazaki que de Top Gun (rire)â! |
Le drame Saint-ExupĂ©ry est prĂ©sentement Ă lâaffiche.