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Entrevue avec Boris Lojkine et Abou Sangaré

CrĂ©dits photos : Unifrance/Marie Rouge | Radio France/Lise Verbeke

Issu du documentaire, Boris Lojkine signe avec L’Histoire de Souleymane son troisiĂšme long mĂ©trage de fiction. Pour incarner le personnage principal de cet enlevant drame social, le cinĂ©aste a choisi Abou SangarĂ©, un jeune non-acteur qui, tout comme Souleymane, Ă©tait un migrant sans-papier. À l’occasion de la sortie du film, MonCinĂ© s’est entretenu avec le rĂ©alisateur et sa vedette.

Pourquoi avoir choisi le travail de livreur pour le personnage de Souleymane ?

Boris Lojkine : CinĂ©matographiquement, c’est passionnant ! C’est quelqu’un qui est en vĂ©lo et qui va trĂšs vite. Il passe d’un milieu Ă  un autre. C’est une promesse de cinĂ©ma fantastique (rire) ! Il y aussi chez les livreurs le croisement de deux problĂ©matiques : celle de la migration et la question de l’économie numĂ©rique. On a donc une figure extrĂȘmement contemporaine. Ces deux questions se rencontrent dans le livreur et son tĂ©lĂ©phone, qui est son lien avec le monde, Ă  la fois Ă  son application et Ă  sa famille dans son pays.

Par oĂč avez-vous commencĂ© vos recherches pour votre histoire ?

Boris : J’ai commencĂ© mes recherches en allant dans la rue rencontrer plein de livreurs. Je me suis rendu compte que la majoritĂ© des livreurs Ă  Paris Ă©tait sans-papier. La plupart venaient de l’Afrique de l’Ouest, et, majoritairement, de deux communautĂ©s : les Ivoiriens et les GuinĂ©ens. Contrairement aux Maliens et SĂ©nĂ©galais, qui sont prĂ©sents depuis plus longtemps en France et ont donc plus de chances de connaĂźtre des gens ou de la famille, un GuinĂ©en qui arrive se retrouve beaucoup plus isolĂ© et sans appui. Et je trouve ça plus intĂ©ressant Ă  raconter. C’est l’homme seul face Ă  la ville. Aussi, cette nationalitĂ© m’intĂ©ressait le plus, car plusieurs GuinĂ©ens demandent l’asile parce que leur pays a une situation politique difficile avec un rĂ©gime dictatorial et la rĂ©pression de l’opposition. Plusieurs d’entre eux partent donc en exil.

Quels Ă©taient les dĂ©fis scĂ©naristiques et aviez-vous dĂšs le dĂ©part l’envie de donner Ă  l’histoire un traitement de thriller, de course contre la montre ?

Boris : Oui, c’était clair dĂšs le dĂ©but. J’avais en tĂȘte un certain modĂšle, celui des films de la nouvelle vague roumaine, comme Quatre mois, trois semaines, deux jours (2007) ou La Mort de Dante Lazarescu (2005). Tous deux se dĂ©roulent sur une pĂ©riode trĂšs courte qui amĂšne ce sentiment de course contre la montre d’un personnage qui doit rĂ©gler un problĂšme. J’avais donc envie d’écrire le film comme un thriller, mais sans aucune figure convenue du genre : pas de pistolets, ni de poursuites contre la police ou d’histoire de drogue. Je voulais raconter que des choses d’un drame social, mais avec la tension d’un thriller. La plus grosse difficultĂ© Ă  rĂ©soudre dans l’écriture du scĂ©nario Ă©tait de nouer les deux fils ensemble, soit celui de la livraison et de l’asile. L’objectif du personnage, c’est d’avoir ses papiers, mais ça ne donne pas beaucoup d’action. Au contraire, le fil de la livraison donne lieu Ă  plein de dĂ©placements, de mouvements et d’actions possibles. Il y a la recherche de l’argent, les rencontres avec les restaurateurs et les clients en plus de tout ce qui se passe dans la rue. On a finalement trouvĂ© la solution quand Delphine Agut, ma coscĂ©nariste, et moi avons pensĂ© que le coach d’asile pour Souleymane lui demandait de l’argent pour lui donner les documents qu’il devait prĂ©senter. Du coup, il devait donc rĂ©unir cet argent par la livraison.

« Je voulais raconter que des choses d’un drame social, mais avec la tension d’un thriller. »

– Boris Lojkine

Abou, que partagiez-vous du personnage de Souleymane ?

Abou Sangaré : J’ai fait le mĂȘme trajet clandestin pour arriver ici. J’avais 16 ans et je suis parti de la GuinĂ©e sans ma famille. J’ai demandĂ© Ă  ĂȘtre reconnu comme mineur, mais ç’a Ă©tĂ© refusĂ©. Par contre, j’ai eu de l’aide de diffĂ©rentes associations qui m’ont permis d’aller Ă  l’école. C’est aprĂšs mes Ă©tudes que j’ai rencontrĂ© Boris et sa directrice de casting pour ce projet de film. Aussi, Souleymane vit Ă  Paris, moi Ă  Amiens.

Boris : Il y a deux diffĂ©rences majeures : Abou n’a jamais Ă©tĂ© livreur et il n’a pas fait de demande d’asile. Il est arrivĂ© ici mineur, ce qui est un autre chemin pour avoir ses papiers.

Comment avez-vous reçu cette proposition de jouer dans un film ?

Abou : Au dĂ©but, j’ai eu peur. Quand on est un sans-papier, on ne peut pas travailler officiellement sous peine d’ĂȘtre expulsĂ© du pays. Mais Boris m’a bien rassurĂ©.

Boris : Lorsqu’on fait une demande d’asile, on ne peut pas ĂȘtre expulsĂ©. Donc, on a tout fait le tournage alors qu’il attendait la rĂ©ponse Ă  sa demande, qui a finalement Ă©tĂ© refusĂ©e. Lors de notre passage Ă  Cannes, Abou Ă©tait donc sous menace d’expulsion ! Aujourd’hui, il a pu enfin obtenir ses papiers.

Le style de rĂ©alisation Ă©voque le cinĂ©ma direct. Quels films vous ont inspiré ?

Boris : Le cinĂ©ma d’Andrea Arnold et, plus prĂ©cisĂ©ment, Fish Tank (2009). Il nous a inspirĂ© dans les cadrages et les choix des lentilles de camĂ©ra. Pour le cĂŽtĂ© urbain frĂ©nĂ©tique, on retrouve aussi l’influence des frĂšres Safdie et leur Uncut Gems (2019). J’avais le rĂȘve qu’on puisse filmer Paris comme parfois on montre New York, avec des personnages urbains qui courent partout (rire). J’avais envie d’un film oĂč on court pendant les trois quarts et que, tout d’un coup, on s’arrĂȘte. On rentre alors dans cette longue scĂšne oĂč l’on est assis et la camĂ©ra est beaucoup plus posĂ©e avec des champs/contrechamps. Je pense que l’émotion qui arrive Ă  la fin du film tient beaucoup Ă  sa structure. On a couru tout au long, on est en tension alors qu’on a toujours peur qu’il subisse un accident de vĂ©lo, qu’il tombe ou qu’il ait des problĂšmes. Donc, quand on arrive dans cet entretien, lĂ  commence un autre type de suspense plus psychologique. On est dans un duel oĂč chacun essaie par ses arguments d’attraper l’autre, quoi. Par contre, il Ă©tait important pour moi que, dans le film, il n’y ait pas vraiment de mĂ©chant. Le monde autour de lui est trĂšs dur, brutal et hostile, mais il n’y a pas de mĂ©chant.

Abou, est-ce une expĂ©rience que vous seriez prĂȘt Ă  refaire ?

Abou : Je n’ai pas le rĂȘve d’ĂȘtre un acteur. Par contre, si l’occasion se prĂ©sente et que c’est intĂ©ressant, je l’accepterais peut-ĂȘtre. Mais je ne cherche pas de rĂŽles. Je suis mĂ©canicien de vĂ©hicules poids lourds et de transport routier. C’était mon rĂȘve depuis mon enfance. |

Le drame L’Histoire de Souleymane est prĂ©sentement Ă  l’affiche.