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Entrevue avec Lise Akoka et Romane Gueret

Image tirée du film Les Pires (2023)

Entrevue avec Lise Akoka et Romane Gueret pour la sortie du film Les Pires

Au cinĂ©ma, on connaĂźt quelques cĂ©lĂšbres tandems de rĂ©alisateurs dont les frĂšres Coen et les frĂšres Dardenne. En 2022, en France, un nouveau duo, formĂ© de Lise Akoka et de Romane Gueret, s’est dĂ©marquĂ© en accouchant d’un des plus beaux films de l’annĂ©e, Les Pires. Le long mĂ©trage relate les dessous d’un tournage Ă  Boulogne-sur-Mer. Ce tournage d’un film dans le film, intitulĂ© À pisser contre le vent du Nord, met en vedette quatre enfants choisis parmi les jeunes du quartier. Quatre jeunes qui sont malencontreusement vus comme
 les pires. Rencontre avec deux rĂ©alisatrices engagĂ©es qui ont Ă  cƓur de bien choisir leurs actrices et acteurs dĂ©butants.

AprĂšs un court mĂ©trage et une sĂ©rie Web, vous venez de rĂ©aliser votre premier long mĂ©trage, Les Pires. Avant de vous lancer en rĂ©alisation, vous avez toutes deux fait vos premiĂšres armes dans le milieu du casting, n’est-ce pas?

Lise Akoka : Oui, nous avons effectivement plusieurs annĂ©es d’expĂ©rience dans ce milieu et c’est justement Ă  cause de ça qu’on voulait, pour ce premier film, parler de ce sujet qui a longtemps Ă©tĂ© au cƓur de nos prĂ©occupations.

Romane Gueret : Et on savait que notre film rĂ©pondrait Ă  de nombreuses questions qu’on pouvait se poser vis-Ă -vis l’exercice de ce mĂ©tier-lĂ  dont on connaĂźt peu les dessous. Du coup, on a eu envie d’interroger les pratiques des rĂ©alisateurs que l’on a cĂŽtoyĂ©s sur des plateaux et de mettre en lumiĂšre la façon dont on travaille comme accompagnatrices lors du casting et puis du coaching lors du tournage. Tout ça nous a amenĂ©es Ă  nous interroger en tant que rĂ©alisatrices. On se demandait comment on avait envie de nouer des relations avec ces jeunes acteurs et comment nous pouvions Ă©viter de trop bousculer l’équilibre d’un quartier qui voit tout Ă  coup dĂ©barquer une Ă©quipe de tournage. L’autre enjeu, c’était aussi l’espoir que ça fait naĂźtre chez ces jeunes qui se retrouvent devant une camĂ©ra du jour au lendemain.

Je me souviens de la premiĂšre fois que j’ai entendu le terme casting sauvage – une mĂ©thode qui consiste Ă  choisir, dans un lieu public, des inconnus pour leur offrir un rĂŽle – c’était pour le film Le PĂ©ril jeune de CĂ©dric Klapisch. Romain Duris avait Ă©tĂ© trouvĂ© de cette façon. C’est quelque chose de mystĂ©rieux l’univers du casting, ce choix subjectif d’acteurs et d’actrices sans expĂ©rience et en l’occurrence, ici, des jeunes ados et prĂ©ados.

Romane : Pour Les Pires, c’était effectivement quelque chose de gros, car le film repose presque en entier sur les quatre jeunes que nous avions choisis. On savait Ă  l’écriture qu’on allait avoir besoin d’inconnus, des non professionnels. On est parti en casting sauvage et ça a durĂ© un an. Nous Ă©tions trĂšs impliquĂ©es dans le choix des comĂ©diens. On Ă©tait exigeantes tout en travaillant en Ă©quipe correctement. Nous changions d’endroit, de milieu, comme lors d’une enquĂȘte policiĂšre qui nous mĂšne ailleurs jusqu’à ce qu’on tombe sur les perles rares. LoĂŻc, MĂ©lina, TimĂ©o et Mallory ont tour Ă  tour Ă©tĂ© trouvĂ©s Ă  diffĂ©rents moments du processus de casting.

Lise Akoka

Crédit photo : Unifrance

Romande Gueret

Crédit photo : Unifrance

Lily, jouĂ©e par Mallory, a l’énergie d’une jeune actrice quĂ©bĂ©coise, Kelly Depeault. Elle ressort du lot dans votre film, car son personnage, au fil du rĂ©cit, gagne de plus en plus d’importance notamment parce qu’elle prend plaisir Ă  ĂȘtre entourĂ©e d’adultes et Ă  attirer l’attention de la camĂ©ra, allant mĂȘme jusqu’à tomber sous le charme d’un technicien de plateau. Son naturel Ă  l’écran et son charisme Ă©vident ont-ils fait en sorte que vous avez donnĂ© plus d’importance Ă  son personnage au tournage et au montage?

Lise : Oui et non, le scĂ©nario Ă©tait Ă©crit avant mĂȘme le choix des interprĂštes. Mais Ă©videmment, il faut aussi qu’il y ait une souplesse qui permettait Ă  Mallory, lors du tournage, de s’approprier le personnage, que les mots viennent d’elle, d’oĂč un travail de rĂ©Ă©criture inĂ©vitable qui lui a donnĂ© de l’élan.

Votre film comporte plusieurs niveaux de lecture, il est Ă  mi-chemin entre la fiction et le documentaire, dĂ©montrant, comme dans La Nuit amĂ©ricaine de Truffaut, comment se dĂ©roule un tournage. Mais encore lĂ , l’inattendu vient de vos scĂšnes avec les habitants du coin qui apprĂ©cient peu qu’on ne s’intĂ©resse qu’aux dĂ©sƓuvrĂ©s qui projettent une image nĂ©gative de leur ville. Ça rappelle le dĂ©bat entourant le film Ouistreham avec Juliette Binoche, sur le fait de se servir du malheur des autres pour raconter une histoire.

Lise : Oui, effectivement, on a pu sentir une certaine mĂ©fiance venant du quartier oĂč l’on tournait. La problĂ©matique de reprĂ©sentation de ces gens, la prĂ©caritĂ© et la misĂšre de ce coin du nord de la France, est-ce que ça allait contribuer Ă  renforcer des stĂ©rĂ©otypes ou donner Ă  entendre une voix qui est souvent Ă©touffĂ©e comme on le dĂ©sirait? Les mĂ©dias de masse eux, s’attardent Ă  la dĂ©linquance. Nous, on voulait mettre en scĂšne les acteurs sociaux qui, au quotidien, ont aussi un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans ces quartiers.

La thĂ©matique trĂšs sociale des Pires et votre façon de filmer intimement vos personnages font penser au cinĂ©ma des frĂšres Dardenne qui a marquĂ© le cinĂ©ma belge. Votre production est française, mais on s’approche de ce courant, non?

Romane : Ça me flatte ce rapprochement. Il y a certainement un lien Ă  faire du cĂŽtĂ© de la libertĂ©, en Ă©vitant de tomber dans le misĂ©rabilisme ou la perte d’espoir. Sans aller vers la comĂ©die, il fallait que notre film comporte aussi des moments loufoques. Un cĂŽtĂ© dĂ©calĂ© qui teinte parfois le cinĂ©ma belge ou encore le cinĂ©ma anglo-saxon.

Vous avez choisi d’appeler votre film Les Pires. Qu’est-ce que ce titre Ă©voquait pour vous deux?

Lise : Ça Ă©voquait cette rĂ©currence dans le casting sauvage de choisir, contre toute attente, les pires enfants rencontrĂ©s. Avec humour, quand on flashe sur un gamin en casting, on se dit souvent « c’est le pire du groupe » et aprĂšs on le choisit inĂ©vitablement. Mais au final devant la camĂ©ra, ce sont les meilleurs, nos hĂ©ros en devenir.

Romane : Et dans le film, Ă  la fin, les « pires » ne sont pas ceux qu’on croyait au dĂ©part, c’était aussi l’idĂ©e qui devait ressortir de notre projet. |

Cette entrevue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre des Rendez-vous du cinĂ©ma 2023 d’UniFrance.