Image tirée du film La Vie secrÚte de Walter Mitty (2013)
Lâhomme a des allures de doux geek et ne sâen cache pasâ: «âCe que jâaime par-dessus tout, câest rĂ©soudre des Ă©nigmes. Ă mes yeux, chaque bande originale se prĂ©sente dâabord comme un rĂ©bus Ă dĂ©chiffrer et Ă mettre en musiqueâ», affirme-t-il. Theodore Shapiro a un don particulier. Ă travers ses lunettes Ă fines montures, on sent le sorcier, le chercheur dâexpĂ©rience, lâartisan mĂ©ticuleux capable de susciter, comme par magie, autant dâĂ©motions, de sentiments ou de frissons que peut nĂ©cessiter lâĆuvre Ă laquelle il prĂȘte son talent. Et sâil compare souvent son travail Ă la rĂ©solution dâune Ă©nigme, câest quâil adore tester, Ă©couter et affiner. «âComposer pour lâĂ©cran, câest dialoguer avec lâimageâ», selon lui.
Humble, le compositeur ne cherche manifestement pas Ă briller seul, mais plutĂŽt Ă se fondre dans la texture du rĂ©cit. Son plus rĂ©cent sortilĂšgeâ? La trame sonore du film The Housemaid (La Femme de mĂ©nage), le thriller domestique tirĂ© du roman Ă©ponyme de Freida McFadden et rĂ©alisĂ© par Paul Feig. Le mandat dâorigineâ? Instaurer une atmosphĂšre tendue, inquiĂ©tante, presque claustrophobique, qui permette de sentir dĂšs le dĂ©part un contraste fort entre lâextĂ©rieur â le luxe, le faste, lâĂ©lĂ©gance â et lâintĂ©rieurâ: le danger latent, les manipulations, les secrets bien enfouis et les piĂšges tendus. Un terrain de jeu parfait pour celui qui apprĂ©cie tout particuliĂšrement mettre en musique des Ă©motions complexesâ!
Lâapproche de Shapiro, presque scientifique, joue sur le registre du sous-entendu. Ses partitions murmurent autant quâelles intriguentâ: cordes feutrĂ©es, respirations Ă©lectroniques, dissonances qui sâinsinuent sans crier gare. «âLa musique doit rendre audible ce qui nâest pas dit, explique-t-il. Chaque film possĂšde son ADN sonore quâil sâagit de dĂ©coder.â»
Shapiro a grandi dans un environnement oĂč la musique cĂŽtoyait la rigueur intellectuelle.
On dit que son studio Ă Hollywood ressemble Ă un laboratoire dâalchimiste moderneâ: synthĂ©tiseurs analogiques, partitions crayonnĂ©es, guitares appuyĂ©es contre les murs et un vieux piano dont il affirme ne jamais vouloir se sĂ©parer. Il sây enferme parfois pendant des jours, aux dires de ses proches, Ă la recherche de la bonne idĂ©e, du motif juste. Lâinspiration lui vient souvent du dĂ©sordre, dans lequel il met⊠de lâordre. Il sait autant faire parler les silences que le chaos.
Il y a plus de 20 ans que le compositeur relĂšve avec dĂ©lectation des dĂ©fis de ce genre. Depuis son travail sur The Devil Wears Prada (Le Diable sâhabille en Prada, 2006), et pour lequel il a Ă©tĂ© rĂ©compensĂ© aux BMI Film & TV Awards, il compte en effet parmi les compositeurs les plus recherchĂ©s dâHollywood. Son nom sâest ainsi discrĂštement glissĂ© derriĂšre une impressionnante liste de productions Ă succĂšs. Suffit de penser Ă la comĂ©die You, Me and Dupree (Toi, moi et Dupree, 2006) dâAnthony et Joe Russoâ; Ă lâĂ©mouvant Marley & Me (Marley et moi, 2008) de David Frankelâ; au blockbuster adulĂ© des prĂ©ados Diary of a Wimpy Kid (Journal dâun dĂ©gonflĂ©, 2010) de Thor Freudenthalâ; Ă lâĂ©tonnant The Secret Life of Walter Mitty (La Vie secrĂšte de Walter Mitty, 2013) de Ben Stillerâ; Ă lâhilarant Spy (2015) de Paul Feigâ; au si pertinent The Intern (Le Stagiaire, 2015) de Nancy Meyersâ; au romantique Last Christmas (NoĂ«l dernier, 2019), de Paul Feig Ă©galement, jusquâĂ Bombshell (Scandale, 2019) et au remake de La Guerre des Rose (The Roses, 2025), deux films de Jay Roach, avec qui il a dâailleurs travaillĂ© Ă sept reprises.
Parce que, comme beaucoup dâautres, le compositeur a ses rĂ©alisateurs fĂ©tiches. Feig et Roach sont en haut de la liste, mais il y en a dâautres, tels David Mamet et Todd Phillips, Ă ses dĂ©buts, puis Ben Stiller (Tropic Thunder, The Secret Life of Walter Mitty, la sĂ©rie Severance) et, bien sĂ»r, David Frankel (Marley & Me, The Big Year, Hope Springs, Collateral Beauty, The Devil Wears Prada).
Le Diable sâhabille en Prada 2 sort dâailleurs en 2026, et câest encore une fois Shapiro qui en signera la musique.
Sâil collectionne les collaborations fructueuses, câest parce que les rĂ©alisateurs apprĂ©cient particuliĂšrement la prĂ©cision du travail de Shapiro et son calme rĂ©flĂ©chi, notamment sur les plateaux. Sa capacitĂ© Ă garder la tĂȘte froide quand tout sâagite autour est exceptionnelle, dit-on. Ce flegme ne lâempĂȘche apparemment pas dâĂȘtre aussi, par moments, dâune grande intensitĂ©. Bien quâil se soit dâabord fait remarquer pour son apport Ă des comĂ©dies «âraffinĂ©esâ», sa collaboration Ă des projets Ă lâambiance plus sombre ne passe pas inaperçue. Jâen veux pour preuve lâĂ©lĂ©gante musique de la sĂ©rie Severance (Apple TV), ainsi que celle, dĂ©licieusement inquiĂ©tante, de La Femme de mĂ©nage. Ce compositeur sait aussi bien crĂ©er le malaise que susciter la joie, sans jamais hausser le ton. Son style, que certains qualifient de «âsubtilement Ă©motionnelâ», sâappuie sur une Ă©criture claire, des orchestrations prĂ©cises et un goĂ»t prononcĂ© pour la nuance. Pas de grandiloquence ou dâeffets faciles, il vise la justesse, rien de plus ni de moins.
NĂ© en 1971, Ă Washington, D.C., dans une famille dâascendance italo-amĂ©ricaine, le jeune Shapiro a grandi dans un environnement oĂč la musique cĂŽtoyait la rigueur intellectuelle. «âMes parents voulaient simplement que je joue dâun instrument. Ils nâimaginaient pas que jâen ferais un choix de carriĂšreâ!â» raconte-t-il avec amusement. Adolescent, le pianiste dĂ©couvre Bach, puis le jazz, dâoĂč lui vient son goĂ»t de lâimprovisation et de la souplesse. Il est dĂ©tenteur dâun Bachelor of Arts en musique de lâUniversitĂ© Brown (Rhode Island), ainsi que dâun Master of Fine Arts en composition musicale de la Juilliard School.
Theodore Shapiro a remportĂ© un Emmy en 2022 pour la musique de Severance, plusieurs BMI Film & TV Awards et un International Film Music Critics Association Award. Discret sur sa vie personnelle, il se dĂ©crit comme un homme simple, attachĂ© Ă sa famille et Ă quelques rituelsâ: un cafĂ© serrĂ© le matin, une sĂ©ance dâĂ©criture au piano avant midi, puis quelques heures de marche ou de lecture. Rien de spectaculaire, rien quâun tempo calme et rĂ©flĂ©chi. Il est mariĂ© depuis 2001 Ă Joanna Schwartz.
Pour notre plus grand plaisir, on lui souhaite de sâamuser Ă rĂ©soudre des Ă©nigmes musicales encore longtemps. |

