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Entrevue avec Julie Delpy

Image tirée du film Les Barbares (2025)

Entrevue avec le cinéaste Julie Delpy pour la sortie du film Les Barbares.

Julie Delpy a fait ses dĂ©buts au cinĂ©ma en 1984 Ă  l’ñge de 16 ans dans le film DĂ©tective de Jean-Luc Godard. Elle tourne ensuite pour plusieurs autres grands rĂ©alisateurs, comme Leos Carax, Bertrand Tavernier et Krzysztof Kieƛlowski. En 2024, elle reçoit une nomination pour l’Oscar du meilleur scĂ©nario adaptĂ© avec le rĂ©alisateur Richard Linklater et sa covedette Ethan Hawke pour le dernier volet de la trilogie Before (Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight). En 2002, elle se lance dans la rĂ©alisation avec son premier long mĂ©trage : Looking for Jimmy. La comĂ©die Les Barbares est son huitiĂšme film en tant que rĂ©alisatrice.

À quel moment est venue cette envie d’ĂȘtre rĂ©alisatrice ? Est-ce arrivĂ© tĂŽt ou au fil du temps de vos expĂ©riences sur les plateaux ?

Lorsque j’ai fait la rencontre avec Jean-Luc Godard, je me souviens de lui avoir dit : « Si vous ne me prenez pas comme actrice, prenez-moi pour ĂȘtre sur le plateau pour voir comment vous travaillez. » J’ai Ă©crit un premier scĂ©nario Ă  quinze ans. J’ai tout de suite voulu raconter des histoires et ĂȘtre rĂ©alisatrice. Sur certains cĂŽtĂ©s, je crois que ça me correspond mieux. Mais j’aime beaucoup jouer aussi. Ce que j’ai dĂ©couvert sur moi comme actrice sur le film Before Sunrise (Avant l’aube tout est possible, 1995), c’est que je suis meilleure si j’ai de bons dialogues. Donc, d’avoir participĂ© Ă  l’écriture des dialogues sur ce film m’a donnĂ© cette Ă©tincelle de vouloir scĂ©nariser.

Qu’est-ce que ça vous apporte d’ĂȘtre derriĂšre la camĂ©ra ?

Ça permet de raconter une histoire et d’ĂȘtre celle qui la gĂ©nĂšre avec son point de vue, son style et son humour. Ça me permet vraiment de m’exprimer. J’aime raconter des histoires, mais tout simplement quand mĂȘme. Surtout sur ce film, Les Barbares, j’avais envie d’un style trĂšs simple afin de me concentrer sur des ĂȘtres humains. Comme le film est sur l’empathie, j’ai mis de cĂŽtĂ© mon Ă©go. Il ne fallait pas que ce soit un travail show off.

Les Barbares est votre premiĂšre comĂ©die plus classique. Est-ce que ce ton Ă©tait voulu dĂšs le dĂ©part ?

Le point de dĂ©part est le drame humain de la crise migratoire. Mais j’avais envie de parler de l’absurditĂ© de certaines personnes qui reçoivent des migrants. Il faut dire que le film n’a pas plu Ă  tout le monde, parce qu’on rit de ces travers-là : le racisme et le manque d’empathie. Ceux pour qui c’est le fonds de commerce, de faire peur aux gens avec les migrants, ont Ă©tĂ© vexĂ©s. Tant mieux (rire) ! C’est sĂ»r que, pour moi, il Ă©tait important d’en faire une comĂ©die parce que ces gens-lĂ  qui sont racistes, je les trouve risibles.

Pour ce film, vous avez travaillĂ© avec trois autres scĂ©naristes. Pourquoi cette approche et qu’est-ce que celle-ci a apportĂ© Ă  l’écriture ?

Ils ont d’abord fait une grande recherche journalistique pour interviewer des rĂ©fugiĂ©s. Un grand travail a donc Ă©tĂ© fait par eux en amont de l’écriture du scĂ©nario. Je voulais aussi Ă©crire avec trois Français. Moi, j’ai mon point de vue d’un peu de loin parce que je demeure en partie aux États-Unis. Je trouvais donc ce mĂ©lange de mon point de vue avec eux, vivants en France, intĂ©ressant.

« Je voulais raconter quelque chose avec un peu d’espoir, soit la tendance un peu inverse de ce qui se passe en gĂ©nĂ©ral dans les nouvelles. J’avais envie d’un film solaire qui finit bien avec un message d’espoir. »

Votre film a une distribution prestigieuse. En plus de vous-mĂȘme, on y retrouve Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte. Est-ce qu’ils se sont imposĂ©s dĂšs l’écriture du scĂ©nario ?

Ce sont des gens avec qui j’avais le goĂ»t de travailler, tout comme d’autres acteurs du film d’ailleurs, et c’est venu petit Ă  petit. Ce qui est intĂ©ressant dans la rencontre avec ces acteurs, c’est que tous ces gens qui sont venus vers le projet, ils avaient une certaine humanitĂ© et empathie. Je pense que le sujet leur a parlĂ© personnellement. MĂȘme si Laurent Lafitte joue un raciste dans le film (rire), lui, personnellement, il est touchĂ© par les causes de certains pays pour lesquels on n’a pas toujours d’empathie, quoi.

Comment ĂȘtes-vous en tant que rĂ©alisatrice envers vos comĂ©diens ?

Je m’adapte Ă  leurs besoins. J’ai remarquĂ© que, chez les acteurs, chaque personne a sa façon de travailler. On ne peut pas s’adapter complĂštement Ă  l’acteur, donc il faut se retrouver au milieu. AprĂšs, il faut faire ça avec chaque acteur. On se cherche un peu au dĂ©but. On regarde comment les gens travaillent. Certaines personnes ont besoin de peu de direction, d’autres plus.

SituĂ© en Bretagne, le village de Paimpont est presque un personnage en soi. Aviez-vous fait beaucoup de repĂ©rage avant de le choisir pour les dĂ©cors ?

J’ai choisi Paimpont parce que j’allais lĂ -bas quand j’étais jeune. Ma tante habitait Paimpont et je passais pas mal de temps chez elle quand mes parents partaient en tournĂ©e de théùtre. Donc, je connaissais trĂšs bien l’endroit. J’avais Ă©galement tournĂ© mon film Le Skylab (2011) sur place. Pour moi, le film Ă©tait Ă©crit pour Paimpont.

FidĂšle Ă  vos habitudes, vous avez donnĂ© Ă  votre pĂšre Albert, qui est comĂ©dien, un petit rĂŽle. Comment est-ce de diriger son pĂšre sur un plateau ?

J’aime beaucoup ça, moi. C’est un plaisir d’avoir dirigĂ© ma maman dans Two Days in Paris (2007) et de le faire aussi avec mon pĂšre dans plusieurs de mes films. Il est drĂŽle et touchant, mais sans ĂȘtre mielleux. Il est un bon mĂ©lange de bougon et de charmant. Puis, tout le monde l’adore sur les plateaux. Il fait beaucoup rire.

Quel a Ă©tĂ© le principal dĂ©fi pour vous sur ce film ?

Ça Ă©tĂ© un film difficile Ă  financer. Je pense que dĂšs qu’un film parle de quelque chose de politique, c’est difficile Ă  monter financiĂšrement en France. On peut presque tout faire, sauf les films politiques. MĂȘme sur le ton de la comĂ©die. Un drame sur les migrants, ça passe, mais une comĂ©die qui rit des Français et de leurs rĂ©actions primaires et racistes, ça fait peur.

Qu’est-ce qui vous touche de cette thĂ©matique ?

Je voulais raconter quelque chose avec un peu d’espoir, soit la tendance un peu inverse de ce qui se passe en gĂ©nĂ©ral dans les nouvelles. Tout est sur la haine. Je n’ai pas envie d’un monde oĂč tout le monde se dĂ©teste. J’ai toujours vĂ©cu dans un monde cosmopolite oĂč je n’ai jamais eu de problĂšmes avec personne. J’avais envie d’un film solaire qui finit bien avec un message d’espoir.

La comĂ©die Les Barbares est prĂ©sentement Ă  l’affiche.