Crédit photo : Unifrance / François Berthier
Entrevue avec le réalisatrice Jessica Palud et l’actrice Anamaria Vartolomei pour la sortie du film Maria.
Jessica Palud a amorcé sa carrière dans le monde du cinéma comme stagiaire sur le film The Dreamers (Innocents, 2003) de Bernardo Bertolucci. Porter à l’écran l’histoire de l’actrice Maria Schneider était donc un sujet encore plus personnel pour elle. C’est la comédienne franco-roumaine Anamaria Vartolomei (Le Comte de Monte-Cristo) qui incarne Schneider, qui sortira à 19 ans traumatisée du tournage de The Last Tango in Paris (Le Dernier Tango à Paris, 1972) de Bertolucci. À l’occasion de la sortie du film Maria, MonCiné a pu s’entretenir avec le duo.
Qu’est-ce qui vous interpellait dans l’histoire de Maria Schneider pour avoir envie de la porter à l’écran ?
Jessica Palud : J’ai commencé à 19 ans comme stagiaire sur The Dreamers de Bernardo Bertolucci. J’ai fait la connaissance de ses œuvres et j’ai évidemment entendu parler de ce qui s’était passé sur le plateau de The Last Tango in Paris. J’ai donc continué ma carrière dans un monde d’hommes et j’ai vu des manières de fonctionner qui n’étaient pas toujours normales. Il y a quelques années, alors que j’étais réalisatrice, je suis tombée sur le livre de Vanessa Schneider à propos de sa cousine Maria. J’ai été bouleversée par son histoire. On était à l’époque en 1972, avec une jeune femme qui dit les choses frontalement et, 40 ans plus tard, les choses ont peu évolué. J’ai voulu faire ce portrait de femme, et non un biopic, pour faire ressortir l’actrice. Ma priorité était qu’on l’écoute, elle. Montrer comment le regard abîme quand on n’est pas écouté. Ce que j’entendais partout parmi tous les gens que j’ai rencontrés, c’est qu’elle a été complètement bouffée par ce tournage et cette séquence. C’est une agression filmée qui est restée toute sa vie. Elle avait très peur du regard des gens. Elle se sentait tout le temps humiliée et rabaissée. Je trouvais donc que c’était un sujet risqué, mais fort.
Anamaria, qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario ?
Anamaria Vartolomei : Je suis immédiatement tombée sous le charme de Maria Schneider. J’ai découvert son audace d’avoir porté un discours à une époque où les femmes, en général, n’étaient pas entendues. Encore aujourd’hui, c’est un sujet un peu tabou parce qu’inconsciemment, si on parle, on a peur d’être pénalisée et punie, de peut-être moins travailler. C’est toujours délicat de s’affirmer et Maria l’a fait seule, ce qui est encore plus honorable. J’avais aussi envie de raconter ses faiblesses. Elle était torturée par le regard des autres. Elle a été mise à l’écart alors qu’elle avait énormément de talent. J’ai été bouleversée par ce parcours de jeune femme que Jessica a si bien écrit. En tant qu’actrice, j’avais envie de lui prêter ma voix et j’ai été très heureuse que Jessica me choisisse.
« Elle a été complètement bouffée par ce tournage et cette séquence. C’est une agression filmée qui est restée toute sa vie. »
– Jessica Palud
Jessica, quels étaient les défis sur le plan du casting ?
Jessica : La première question était de savoir comment caster Maria Schneider et Marlon Brando. Je les ai vraiment choisis un par un. Il fallait que je la réussisse, elle. Elle devait aussi commencer à 16 ans et finir à 30 ans. Il y avait tellement de choses à jouer : une jeune femme actrice et toxicomane. J’ai vu plusieurs fois Anamaria, qui est très différente de Maria. Je suis quand même partie en casting sauvage, mais ça n’a pas du tout marché (rires). J’ai donc rappelé Anamaria et je lui ai dit que nous allions la créer. On s’est fréquentées pendant presque un an, allant voir des films ensemble et rencontrant des toxicomanes. Pour moi, le plus important, c’était qu’elle comprenne Maria et ses états afin qu’elle puisse la jouer. Puisqu’on tournait en 25 jours, quand nous sommes arrivées sur le plateau, il fallait qu’elle fasse vite, même si on a pris notre temps. Puisqu’on se connaissait bien, ç’a été un plus pour le tournage. On avançait dans le même sens.
Anamaria, est-ce que le fait de jouer dans un film qui se déroule à une autre époque permet une certaine distance avec cette scène de viol pour une comédienne ?
Anamaria : Je pense que le décor n’est qu’un détail. Même si ça se passait aujourd’hui, la scène en elle-même demeure violente. Après, oui, il y a intérêt à mettre de la distance, sinon ça peut être assez déstabilisant. Mais ç’a été très bien préparé et chorégraphié. J’ai eu un partenaire, Matt Dillon, qui était très à l’écoute et bienveillant. Lui-même a eu une prise de conscience, car à la fin il a dit : « Mais comment Marlon a pu faire ça ? » Même sur le plateau, il y a des gens qui ont versé des larmes. Ç’a été très émouvant de recréer cette scène, mais on l’a fait dans les conditions les plus favorables. Je suis très heureuse qu’elle ait été filmée comme Jessica l’avait écrite avec ce basculement sur l’équipe qui éprouve cette inertie totale d’un collectif face au génie démiurge que représentait ce réalisateur.
Jessica : Je pense qu’il était essentiel de montrer le choc pour comprendre le choc.
Quels étaient les défis de recréer les scènes de tournage de The Last Tango in Paris ?
Jessica : On a travaillé avec le directeur photo pour avoir des filtres vintage et des objectifs particuliers. On a travaillé beaucoup avec des photos de l’époque. On a vu le même appartement qui avait été utilisé, mais il a été complètement refait aujourd’hui. On ne trouvait pas l’idée de cette rotonde à laquelle moi je tenais. On a donc tourné en studio le décor, mais en inversant quelques couleurs pour ne pas refaire pile poil. On s’est permis quelques libertés. C’était un travail assez passionnant. |
Le drame Maria est présentement à l’affiche.
