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Entrevue avec Antoine Bertrand

CrĂ©dit photo : Tzara Maud

AprĂšs ses Ă©tudes en thĂ©Ăątre au CĂ©gep de Saint-Hyacinthe en 2002, Antoine Bertrand dĂ©croche rapidement un rĂŽle dans la populaire quotidienne Virginie. Il se distingue aussi avec son rĂŽle de Junior Bougon dans la sĂ©rie Les Bougon : C’est aussi ça la vie ! (2003-2006). Il connaĂźt Ă©galement du succĂšs Ă  la tĂ©lĂ©vision avec C.A., Boomerang et Les Pays d’en haut. Au cinĂ©ma, il participe Ă  plusieurs des films les plus populaires des quinze derniĂšres annĂ©es avec, entre autres, Starbuck (2011), Louis Cyr (2013), pour lequel il remportera le Jutra (maintenant connu sous le nom de prix Iris) du meilleur acteur, et Menteur (2019).

Lors d’un entretien, vous avez dĂ©jĂ  rĂ©vĂ©lĂ© qu’enfant, vous dĂ©siriez devenir comĂ©dien Ă  Hollywood. Qu’est-ce qui vous avait donnĂ© la piqĂ»re d’ĂȘtre acteur Ă  un si jeune Ăąge ?

ComĂ©dien Ă  un si jeune Ăąge, je ne suis pas certain (rire). On possĂšde un instinct, des talents innĂ©s. Certains sont bons pour faire des Lego, mais ça ne veut pas dire qu’ils deviendront tous ingĂ©nieurs (rire). Dans mon cas, Ă  partir du moment oĂč ma mĂšre a allumĂ© la tĂ©lĂ©, tout ce que je faisais c’était de reproduire ce que je voyais. Je retenais tout ce que j’entendais. J’avais une bonne mĂ©moire. Les dimanches matins, je faisais aussi des spectacles devant mon frĂšre et mes parents. Un des premiers besoins que j’ai eus, c’est d’avoir de l’attention (rire). AprĂšs ça, Hollywood, c’est juste parce que je consommais des films de Rocky et Rambo, et que dans ma tĂȘte, c’est lĂ  que ça se passait. C’était le point de vue d’un petit gars qui ne voyait pas de frontiĂšres, ni de limites. Et tu veux travailler avec tes hĂ©ros, comme Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Plus vieux, j’ai rĂ©alisĂ© que tu es mieux de commencer localement (rire).

Avez-vous dĂ©jĂ  reçu des offres pour jouer aux États-Unis ?

Non ! Jamais, jamais (rire). Mais, je me suis calmĂ© le pompon par rapport Ă  ça. Jouer dans une autre langue, ce n’est pas simple. Je pense que je peux me dĂ©brouiller, mais je ne serai pas transcendant. Et le but de la job, c’est d’ĂȘtre quand mĂȘme le meilleur que tu peux. Je pense que c’est plus simple pour un rĂ©alisateur dont les films sont vus Ă  l’étranger. Ils travaillent derriĂšre la camĂ©ra. Je pense que la trail vers l’Est, vers la France, est plus accessible que celle vers le Sud.

Au moment de tourner votre premier film, Ce qu’il faut pour vivre (2008), vous aviez dĂ©jĂ  une bonne expĂ©rience Ă  la tĂ©lĂ©vision. Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?

Je voyais ça comme la mĂȘme job. Je me souviens d’ĂȘtre dĂ©barquĂ© dans la salle d’un sanatorium rempli de tuberculeux. Nous tournions Ă  QuĂ©bec. À la premiĂšre prise, le rĂ©alisateur BenoĂźt Pilon a criĂ© « action » et on s’est tous mis Ă  tousser en mĂȘme temps (rire). Une vingtaine d’acteurs (rire) ! BenoĂźt est venu nous voir et il nous a dit de jouer comme un orchestre. Si tous les instruments jouent fort en mĂȘme temps, ce sera inĂ©coutable. Il a donc fallu qu’on trouve notre dosage dans la tuberculose ! Ç’a Ă©tĂ© vraiment trĂšs drĂŽle Ă  faire comme scĂšne.

La mĂȘme annĂ©e, vous tourniez Ă©galement dans Borderline (2008), un film assez audacieux pour l’époque. Comment Ă©tait-ce de travailler avec Isabelle Blais et la rĂ©alisatrice Lyne Charlebois ?

Avec l’autrice Marie-Sissi LabrĂšche, elles formaient vraiment un beau trio. Je me voyais comme un satellite autour d’eux. Je parle pour Isabelle, mais je ne pense pas que tu puisses faire un film comme ça sans avoir totalement confiance en ta rĂ©alisatrice. Je sentais que Lyne Ă©tait complĂštement en maĂźtrise de la maniĂšre qu’elle voulait raconter cette histoire. Et elle n’était pas simple. On recule d’une quinzaine d’annĂ©es oĂč on parle de santĂ© mentale et de dĂ©pendance, deux sujets aujourd’hui qu’on tient pour acquis. Dans le temps, ça dĂ©fonçait effectivement bien des portes. Avec Isabelle, on tournait dĂ©jĂ  dans la sĂ©rie C.A., donc je la connaissais bien. On Ă©tait en confiance, parce qu’il avait quand mĂȘme des scĂšnes pas Ă©videntes Ă  jouer entre nous. Isabelle est vraiment une actrice fabuleuse, complĂštement investie dans ce qu’elle fait. Elle est aussi trĂšs rigoureuse, donc tu sais que tu t’en vas Ă  la guerre avec un bon soldat Ă  tes cĂŽtĂ©s. Pour prendre une mĂ©taphore sportive, j’essayais juste d’ĂȘtre un bon joueur de deuxiĂšme trio et de faire de bonnes passes quand c’était le temps (rire). Je trouve que c’est un film qui vieillit bien et qui est toujours utile aujourd’hui.

En 2011, Starbuck a connu un Ă©norme succĂšs. Pour garder votre mĂ©taphore, vous aviez un rĂŽle de soutien, mais trĂšs marquant. Est-ce que c’est ce film qui vous a ouvert les portes du cinĂ©ma français ?

Oui, le film m’a ouvert les portes, mais sept ans plus tard (rire). Comme quoi tu ne rĂ©coltes pas tout de suite ce que tu as semĂ©. Je me rappelle de m’ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă  l’audition du film costumĂ©, ce qui est trĂšs rare. Vu que le rĂŽle Ă©tait celui d’un pĂšre monoparental de quatre enfants avec la broue dans le toupet, je me suis levĂ© le matin, j’ai enfilĂ© ma robe de chambre et je me suis prĂ©sentĂ© comme ça, avec un cafĂ© en main. Je ne me suis pas peignĂ©, ni brossĂ© les dents (rire). J’avais une barbe un peu longue de plusieurs mois pas taillĂ©e. Je suis rentrĂ© dans le lobby des bureaux et je me suis assis lĂ . On m’a pris pour un itinĂ©rant (rire). J’étais vraiment content de mon audition et c’est un rĂŽle que je voulais. Ken Scott a une façon d’écrire, un ton bien Ă  lui. Je me plais bien lĂ -dedans. Ses mots sortent bien de ma bouche (rire). Et pour avoir retestĂ© l’expĂ©rience plus tard avec Au revoir le bonheur (2021), ç’a confirmĂ© que j’aime bien travailler avec Ken. C’est quelqu’un de trĂšs respectueux et calme. Quand il dirige, il vient nous parler Ă  part. Tu as l’impression de ne pas recevoir ses notes devant toute l’équipe. Tu ne sais pas ce qu’il dit aux autres, juste Ă  toi. Je trouve que c’est vraiment une belle mĂ©thode qui nous enlĂšve de la pression et qui dĂ©montre du respect.

« Je me suis dit : “Si on le refait, il faut qu’on amĂšne de quoi de diffĂ©rent. Il faut que ce soit aussi bien sinon mieux que l’original.” Mais dĂ©jĂ  Ă  la base, j’étais bouleversĂ© Ă  la lecture du scĂ©nario. J’ai tout de suite eu envie de le faire. »

Avec Louis Cyr (2013), vous avez jouĂ© dans un gros film d’époque. Comment est-ce pour un comĂ©dien de se retrouver sur une production historique de cette ampleur ?

Je te dirais que c’est lĂ  que je me suis senti un peu comme Ă  Hollywood, mĂȘme si aux États-Unis on aurait ajoutĂ© un zĂ©ro de plus Ă  notre budget de 8 millions (rire). Mais, pour ici, c’était un gros montant. Je pense que ce qu’a accompli l’équipe technique avec ce budget relĂšve de la prouesse. Pour moi, cette expĂ©rience n’est pas banale, parce que l’histoire m’a accompagnĂ© pendant huit ans. À la base, j’avais auditionnĂ© pour une sĂ©rie tĂ©lĂ© qui n’a pas vu le jour. Puis, le rĂ©alisateur Daniel Roby a relancĂ© le projet sous forme de film aprĂšs avoir lu la biographie de Louis Cyr. J’ai aussi passĂ© beaucoup de temps avant le tournage Ă  m’entraĂźner. C’est vraiment le projet d’une vie.

Vous jouez autant dans des films commerciaux que d’auteur. Comment choisissez-vous vos projets ? Que regardez-vous dans un scĂ©nario ?

L’histoire. Toujours l’histoire. À la lecture d’un bon scĂ©nario, il ne faut pas que tu sois capable de le laisser. Il ne faut pas que tu ressentes un effort pour le traverser. AprĂšs ça, c’est la partition que tu dois jouer. J’aime mieux ĂȘtre une plante verte dans une bonne histoire que le premier rĂŽle dans une qui ne m’intĂ©resse pas (rire). Il y a aussi les gens avec qui j’ai envie de travailler.

Pour Mlle Bottine, comment avez-vous reçu cette proposition et aviez-vous une apprĂ©hension de participer Ă  la reprise d’un grand classique du cinĂ©ma quĂ©bĂ©cois ?

J’ai d’abord reçu le scĂ©nario sans savoir ce que c’était. DĂšs la lecture du titre, Mlle Bottine, je me suis dit : « Tiens, c’est drĂŽle. Ça me fait penser Ă  Bach et bottine. » Et, en lisant le scĂ©nario au fur et Ă  mesure, ça a fait : « Attends. OK. C’est une relecture. » TrĂšs rapidement, j’ai plongĂ© dans l’histoire. C’est vraiment une rĂ©interprĂ©tation. Le scĂ©nario garde les mĂȘmes grandes lignes, mais on n’est pas dans les mĂȘmes situations. Donc, Ă  partir du moment oĂč j’ai rĂ©alisĂ© ça, je n’ai pas eu peur. Mais je me suis dit : « Si on le refait, il faut qu’on amĂšne de quoi de diffĂ©rent. Il faut que ce soit aussi bien sinon mieux que l’original. » Mais dĂ©jĂ  Ă  la base, j’étais bouleversĂ© Ă  la lecture du scĂ©nario. J’ai tout de suite eu envie de le faire. Pendant deux ans, ç’a Ă©tĂ© le projet et le rĂŽle qui ont occupĂ© le plus de place dans ma tĂȘte. Ce rĂŽle est tellement loin de moi qu’il a fallu que je me donne du temps pour le laisser vivre et grandir. Tu ne peux pas arriver Ă  la premiĂšre journĂ©e de tournage et juste le faire. Tout ça n’a pas Ă©tĂ© facile parce qu’il est un personnage pas trop super agrĂ©able (rire).

Comment s’est dĂ©veloppĂ©e la relation avec votre jeune partenaire de jeu, Marguerite Laurence ?

Elle est vraiment Ă©cƓurante ! C’est le niveau de performance de Charlotte Laurier dans Les bons dĂ©barras (1980). Je nous ai trouvĂ© chanceux de l’avoir. Dans ta question, tu me demandes comment Ă©tait notre relation de jeu. C’était exactement ça. Une relation de jeu. Parfois, tu tournes avec des enfants et ça se peut que tu sois lĂ  pour les guider. Mais avec Marguerite, j’avais juste Ă  faire mes affaires. On jouait vraiment ensemble. Je savais que je pouvais m’appuyer sur elle. C’était une partenaire de jeu en qui j’avais complĂštement confiance et avec qui je pouvais aussi m’amuser. Elle est une force de la nature ! Je me suis trouvĂ© non seulement chanceux de l’avoir comme partenaire de jeu, mais aussi de la connaĂźtre dans la vie. Elle est juste formidable.

Comment Ă©tait-ce de jouer avec une mouffette ?

Si tu demandes Ă  Marguerite, ça ne sera sĂ»rement pas la mĂȘme affaire que moi (rire). Pendant une grosse partie du film, elle doit cacher la mouffette Ă  mon personnage de Philippe. Donc, je n’ai pas trop eu d’interactions avec elle (rire). Mais j’étais lĂ  quand ils tournaient ces scĂšnes. Ce n’est pas Ă©vident (rire) ! Ce n’est pas un chien ni mĂȘme un chat. Il y avait deux jeunes mouffettes et, ça a l’air niaiseux ce que je vais dire, mais il y a rĂ©ellement une odeur qui vient avec elles (rire). |

La comĂ©die familiale Mlle Bottine est prĂ©sentement Ă  l’affiche.