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Entrevue avec Chloé Leriche

Crédit photo : Sophie Desrape / Funfilms

Originaire de MontrĂ©al, ChloĂ© Leriche est une scĂ©nariste, rĂ©alisatrice, monteuse et productrice. En 2016, son premier long mĂ©trage, Avant les rues, a reçu plusieurs prix en plus d’avoir Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© dans de nombreux festivals quĂ©bĂ©cois et internationaux. Soleils Atikamekw est son second long mĂ©trage. L’an dernier, il a remportĂ© le Prix du public TV5 du meilleur film francophone au 52e Festival du nouveau cinĂ©ma de MontrĂ©al.

Est-ce en tournant Avant les rues (2014) Ă  Manawan que vous avez entendu parler de ce drame qui a traumatisĂ© cette communautĂ© en 1977 ?

Oui. À ce moment-lĂ , je ne prĂ©voyais pas de refaire un film dans une autre langue parce que c’est compliquĂ©. Mais Ă  cette Ă©poque, on parlait beaucoup dans les mĂ©dias de l’EnquĂȘte nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinĂ©es et de la Commission Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics. Je trouvais intĂ©ressant le sujet de la disparition de cinq membres de la communautĂ©, d’autant plus qu’il n’y avait eu aucune attention mĂ©diatique sur l’affaire ni d’enquĂȘte. J’y voyais l’occasion de faire une enquĂȘte sur le racisme systĂ©mique et aussi de montrer cette injustice commise envers les familles.

Sachant que peu d’élĂ©ments subsistent de l’évĂ©nement, et qu’il y a une absence de documents, comment as-tu entamĂ© tes recherches pour rĂ©diger le scĂ©nario ?

Je voulais vraiment raconter l’histoire du point de vue de la communautĂ© et non de la police. De toute maniĂšre, on me disait qu’ils refuseraient de me parler. J’ai pris le soin de contacter une soixantaine de personnes qui avaient Ă©tĂ© soit en contact avec les deux personnes impliquĂ©es ou tĂ©moins des Ă©vĂ©nements aprĂšs la tragĂ©die.

Le film contient des acteurs professionnels et plusieurs non-acteurs. Comment as-tu procĂ©dĂ© pour le casting ?

J’ai fait un casting dans plusieurs communautĂ©s diffĂ©rentes. Ç’a reprĂ©sentĂ© plusieurs mois de travail. J’ai fait valider tous mes choix par les familles des victimes afin que les personnages soient bien reprĂ©sentĂ©s. Parmi les non-acteurs, il y en a plusieurs qui ont des liens familiaux avec les victimes. Pour moi, c’était une maniĂšre de leur permettre de prendre la parole et d’entamer un processus de guĂ©rison.

Avec autant de non-acteurs, as-tu pu rĂ©pĂ©ter en amont avec eux ?

J’ai eu une fin de semaine (rire) ! On les a tous rĂ©unis afin qu’il soit au moins ensemble avant de commencer le tournage. Je voulais les mettre en confiance, qu’on forme une famille. Mais, ça ne m’inquiĂ©tait pas. Et je pense que le public est surpris par leur jeu. On y retrouve une authenticitĂ© et il est facile de connecter Ă  ce qu’ils vivent.

« Parmi les non-acteurs, il y en a plusieurs qui ont des liens familiaux avec les victimes. Pour moi, c’était une maniĂšre de leur permettre de prendre la parole et d’entamer un processus de guĂ©rison. »

Puisque la majoritĂ© du film se dĂ©roule en langue atikamekw, avais-tu fait traduire le scĂ©nario ?

Oui, mais je les sentais perdus dans cette traduction. C’était plus le bordel qu’autre chose (rire). J’ai donc abandonnĂ© cette version et ils ont eux-mĂȘmes adaptĂ© leurs dialogues.

Quelle scĂšne a Ă©tĂ© la plus dure Ă  tourner ?

Celle de la camionnette qui sort de l’eau. J’ai seulement eu la veille du tournage l’information qu’une des victimes avait eu les culottes baissĂ©es au moment de la rĂ©cupĂ©ration de la camionnette. J’avais une hĂ©sitation Ă  le mentionner ou pas. Depuis, on m’a confirmĂ© la chose par d’autres sources. C’était aussi une scĂšne techniquement plus difficile Ă  tourner pour moi ainsi pour les actrices qui, elles, Ă©taient dans l’eau froide (rire).

Pourquoi ce choix de monter toi-mĂȘme tes films ?

Je pense que je suis une bonne monteuse (rire). C’est une Ă©tape que j’aime. J’expĂ©rimente beaucoup en tournage. Je trouve que c’est au montage que le film prend vie.

Comment les gens de la communautĂ© ont-ils reçu le film ?

C’était douloureux. Plusieurs apprenaient des choses. Il y avait encore des secrets entre eux. La tragĂ©die demeure encore taboue. Ils n’en parlaient pas. Le film a donc remuĂ© des souvenirs. Ils ont le sentiment de ne pas avoir Ă©tĂ© entendus par la SQ et le systĂšme de justice. C’est donc une façon d’entamer un deuil Ă  leur maniĂšre. Pour eux, c’est trĂšs rĂ©confortant pour la mĂ©moire des victimes.

Qu’espùres-tu que les spectateurs retiennent du film ?

La beautĂ© de la culture atikamekw et la magnifique rĂ©silience. Ils sont des guerriers pacifiques. J’espĂšre aussi que les gens prendront le temps de se rendre sur le site du Principe de Joyce, en mĂ©moire de Joyce Echaquan, qui cherche Ă  enrayer le racisme envers les Autochtones. |