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Construire un film, c’est un peu comme faire un casse-tête. Pour le réussir, il faut avoir en main tous les morceaux. Un monteur fait exactement cela… Pendant un tournage, il reçoit peu à peu les morceaux, les plans de caméra qui vont lui servir à raconter une histoire de façon non seulement cohérente, mais aussi émotivement intelligente. On pourrait pousser davantage l’analogie et dire que le monteur crée en quelque sorte lui-même les morceaux du casse-tête, puisqu’il a l’obligation de regarder tout ce qui a été tourné, d’en évaluer les forces et les faiblesses, puis de choisir les meilleurs segments à utiliser. Ce n’est pas une science exacte, mais bel et bien un acte de création à ne pas sous-estimer. Les monteurs sont des artistes qui travaillent dans l’ombre. Ils sont essentiels. Le magazine Monciné est fier de vous en présenter un d’expérience. Yvann Thibaudeau pratique ce métier depuis bien des années. Il a signé le montage de nombreux films québécois, dont la trilogie de Ricardo Trogi composée des films 1981, 1987, puis finalement 1991. Bientôt, il pourra célébrer ses 30 ans de carrière. Mais, s’il est encore un peu trop tôt pour souligner cet anniversaire professionnel prévu en 2024, il serait franchement dommage de se priver d’une telle expérience dans le cadre de cette série sur les différents métiers du cinéma!
Un métier est né
Le métier de monteur vidéo est, de toute évidence, étroitement lié à l’invention du cinéma. Or, les avancées technologiques, la télévision et le numérique, ont contribué à démocratiser le métier de monteur qui n’est plus exclusif au 7e art. Si à peu près tout le monde peut désormais apprendre à monter des images sur des logiciels gratuits en ligne, peu nombreux sont ceux qui parviendront à réaliser le montage d’un long métrage pour le grand écran. Même si le cinéma québécois se porte plutôt bien, les productions de longs métrages sont limitées et le milieu demeure petit.
Alors, qu’est-ce qui distingue, justement, le travail d’un monteur au cinéma par rapport à celui d’un monteur pour la télévision ou la publicité? « La différence est dans le processus du long métrage où l’on a beaucoup plus de temps », précise M. Thibaudeau. « À la télévision et en publicité, on est souvent pressé. Il faut que les émissions sortent en peu de temps. Il y a des dates de diffusion. Donc, on doit y aller de façon plus simple, en suivant le scénario et la structure narrative de base. Avec un film, cela devient vraiment un laboratoire où l’on cherche et explore les possibilités pour chaque prise, chaque cadre afin de trouver l’essence même du film. On peut réinventer des scènes en éliminant du dialogue et défaire la structure narrative. Le diable est dans les détails », conclut-il.
Le pari du risque
S’amuser et faire un peu le fou avec les images qui lui sont données, c’est très important pour ce monteur estimé. C’est même essentiel dans son travail, car il est bien d’essayer des choses différentes et de ne pas avoir peur de prendre des risques, de se surprendre soi-même. « Ça fait partie des bases sur lesquelles une relation avec un réalisateur se bâtit, en proposant des choses différentes et en allant plus loin que simplement exécuter ce qui est sur papier. Ça, je serais porté à dire que tout le monde peut le faire. L’idée est de brasser un peu les cartes, de trouver une façon autre de voir la scène et l’ensemble du film. Si on ne le fait pas, on ne fait pas notre travail », souligne Yvann Thibaudeau. Ce dernier n’hésite pas à citer un grand réalisateur pour compléter sa pensée : « Comme le dirait Quentin Tarantino : le montage, c’est la dernière étape de l’écriture du scénario. »
En parlant des réalisateurs, les aspirants monteurs au cinéma devraient faire preuve de flexibilité à leur égard, car ils ne travaillent pas tous de la même façon. Certains sont très présents à l’étape du montage et savent précisément ce qu’ils veulent, pour le meilleur et pour le pire. D’autres seront davantage absents, plus souples, d’où l’importance de se faire confiance et de se démarquer par son autonomie, de forger de bonnes relations.
Dans les deux cas, un excellent sens de l’organisation est un atout majeur pour monter avec efficacité. La quantité d’images que le monteur doit gérer et manipuler pour un long métrage est considérable. Puis, un bon monteur doit être en mesure de se retrouver rapidement et de connaître le projet sur le bout des doigts, surtout si le réalisateur est dans les parages! Le cinéma a beau avoir le luxe du temps, il faut essayer de l’économiser là où c’est possible.
Transmission du savoir
Enfin, quel conseil Yvann Thibaudeau donnerait-il à une jeune personne qui désire devenir monteur au cinéma? C’est une question qui le porte à réfléchir sur ses propres expériences : « Moi, j’ai eu la chance de grandir à une époque où c’était possible de côtoyer des mentors, de pouvoir travailler avec des monteurs de haut niveau qui te montrent les rudiments du métier, se rappelle-t-il. C’est plutôt rare aujourd’hui. On a l’impression que tout le monde apprend sur le tas, dans son sous-sol, sur son laptop. Il y a très peu de partage. C’est une chose qu’il faudrait refaire et j’encourage les plus jeunes à tendre la main aux gens qu’ils admirent, pour essayer d’en tirer des enseignements… Et j’encourage ces gens admirés à répondre à cette main tendue et à partager leur savoir avec les débutants. » Sage conseil qui peut sans doute s’appliquer à plus d’un métier! |