Crédit photo : Marcel Hartmann
Entrevue avec le réalisateur et comédien Roschdy Zem pour la sortie du film Les Miens
Roschdy Zem est devenu, il y a dĂ©jĂ plusieurs annĂ©es, un incontournable du cinĂ©ma français. Dâorigine marocaine, mais nĂ© en France, lâacteur aujourdâhui ĂągĂ© de 57 ans sâĂ©tait fait remarquer Ă ses dĂ©buts dans les films dâAndrĂ© TĂ©chinĂ©. Il sâest depuis forgĂ© une filmographie enviable (six films au compteur), profitant de rĂŽles de premier plan sous la gouverne dâArnaud Desplechin, Anne Fontaine ou Xavier Beauvois notamment. Zem est aussi passĂ© derriĂšre la camĂ©ra, rĂ©alisant des Ćuvres hĂ©tĂ©roclites de qualitĂ©, Ă lâimage de son nouveau film, Les Miens, comĂ©die dramatique tournant autour dâune famille au bord de lâimplosion. Le long mĂ©trage est portĂ© par Sami Bouajila, dans le rĂŽle de Moussa, qui est victime dâun accident. Ă la suite de sa violente chute, il souffre dâun traumatisme crĂąnien qui le rend irascible envers les membres de sa famille. Lâacteur et rĂ©alisateur nous livre des dĂ©tails sur son rĂ©cit inspirĂ© par sa propre famille et oĂč les cris, les pleurs et les rires sont nombreux.
LES MIENS, câest une histoire familiale coĂ©crite avec MaĂŻween (dont le plus rĂ©cent film, Jeanne du Barry, est prĂ©sentĂ© Ă Cannes). Quel a Ă©tĂ© son apport en gĂ©nĂ©ral?
DĂ©jĂ , au dĂ©part, quâelle nâait pas dâaffect avec les personnages qui mâont inspirĂ©, Ă savoir ma famille, ça a permis dâagir comme un filtre quand je lui racontais lâhistoire. Elle me disait, ça sâest intĂ©ressant, ça moins, ça on lâa dĂ©jĂ vu, ça on le prend, etc. Alors je lui ai accordĂ© toute ma confiance pour faire le tri afin de ne dĂ©velopper que les Ă©lĂ©ments les plus originaux. Sa force Ă MaĂŻwenn, câest lâĂ©criture organique comme on peut le voir dans ses films, dont Mon roi et ADN, et elle a mis cette force dans LES MIENS. Ensuite, ce qui est amusant, câest quâelle mâa avouĂ© son dĂ©sir de jouer le rĂŽle de ma compagne. Elle a suivi le processus dâĂ©criture Ă la lettre et sâen est nourrie pour incarner son personnage.
Votre film est une Ćuvre qui fait du bien quand on la visionne et pourtant, câest un long mĂ©trage dâengueulades. Câest culturel pour les Français de sâengueuler, Ă table de surcroĂźt, non?
Oui, bien sĂ»r. Encore plus pour ceux qui ont des origines mĂ©diterranĂ©ennes. Je me souviens, quand jâĂ©tais petit, jâavais lâimpression que mes parents sâengueulaient constamment, mais ce nâĂ©tait pas le cas. Aujourdâhui, je suis comme eux, on est des passionnĂ©s, des sanguins, câest ce que jâaime. AprĂšs, il y a la façon bergmanienne de dire les choses avec un stoĂŻcisme presque inquiĂ©tant. Les gens qui disent des choses violentes avec calme et douceur me font plus peur que quelquâun qui perd ses moyens.
Le point de dĂ©part des MIENS, câest lâhistoire de votre frĂšre qui a subi un traumatisme Ă la tĂȘte comme Moussa. Il faut mettre de cĂŽtĂ© une certaine pudeur quand on dĂ©cide de parler de nos proches Ă lâĂ©cran?
Quand jâai pris la dĂ©cision de raconter cette histoire, il y a eu chez moi un lĂącher-prise total. On met de cĂŽtĂ© cette pudeur et on verse dans la fiction, surtout que câest mon interprĂ©tation de ces Ă©vĂ©nements, ce nâest pas la rĂ©alitĂ©, câest ma vĂ©ritĂ© ajoutĂ©e Ă mon envie de cinĂ©ma. Je suis en paix avec ma famille, je nâai pas de comptes Ă rĂ©gler avec eux. Quand je les mets en scĂšne, câest avec beaucoup dâamour et dâautodĂ©rision. Il nây a que de la bienveillance.
Votre travail de mise en scĂšne du film dĂ©montre un certain dĂ©sir de faire de longs plans chorĂ©graphiĂ©s oĂč tout le monde sâexprime.
Oui absolument, mais ça, câest lâĂ©conomie du film qui a Ă©tĂ© tournĂ© en seulement quatre semaines. Chacun de mes comĂ©diens avait un espace de libertĂ© tout en partant dâun document qui racontait le parcours de son personnage. Je leur ai demandĂ© de lâapprendre, de le comprendre et, grĂące à ça, ils pourraient ensuite Ă©voluer au sein de cette famille en connaissant exactement leur douleur, leurs vellĂ©itĂ©s, leurs frustrations. Cet espace de libertĂ© leur permettait donc de trouver leur place comme au sein dâune vraie famille finalement. Je nâai pas eu Ă gĂ©rer des Ă©gos. Chacun Ă©tait Ă sa place et ça, câĂ©tait une chance incroyable cĂŽtĂ© casting.
Samy Bouajila est formidable dans le rĂŽle principalâŠ
Oui, il est incroyable! Je lâavais dĂ©jĂ dirigĂ© dans Omar mâa tuer. Ce genre dâacteur, quand il accepte le rĂŽle, il construit plus que ce que vous lui avez demandĂ©. Il arrive sur le plateau chargĂ© dâun excĂšs de gĂ©nĂ©rositĂ©. Câest lâacteur rĂȘvĂ© pour un rĂ©alisateur.
Votre film met en scĂšne une famille française, dâorigine nord-africaine, mais Ă aucun moment le rĂ©cit nâaborde lâimmigration. On est ailleurs.
Câest parce quâils sont nĂ©s en France. Ăa fait 60 ans quâils sont Français. LâAfrique du Nord, ils la connaissent trĂšs peu. Quand je raconte cette famille, je raconte ce que je sais, je suis factuel. En montage, mon monteur me disait que ce qui est bien, câest quâon ne parle jamais de leur culture. En fait, ce sont les chaĂźnes tĂ©lĂ© dâinformation en continu qui nous parasitent avec les mĂȘmes sujets, la religion, le voile, la radicalisation. En boucle en plus. Les familles dâorigine nord-africaine, il y a autre chose Ă dire sur elles.
Et votre personnage, Ryad, le frĂšre de Moussa, une vedette tĂ©lĂ©, sĂ©ducteur et insupportable Ă la fois, quâelle en a Ă©tĂ© lâinspiration?
Câest surtout une mise en abyme de ce que peut reprĂ©senter ma profession au sein de ma famille. On bascule dans une autre classe sociale et ça fait bouger les rĂŽles qui nous Ă©taient prescrits au dĂ©part. Câest dĂ©stabilisant. Quelquâun qui a rĂ©ussi publiquement, câest parfois terrible familialement, car ça fait en sorte que du jour au lendemain on devient le pĂšre de, le frĂšre de, le fils de, la femme de. On ne rĂ©alise pas immĂ©diatement que ça peut ĂȘtre douloureux. Ryad, il a oubliĂ© que dans sa famille, chaque membre est une entitĂ© Ă part entiĂšre.
LES MIENS dure moins dâune heure trente et pourtant on sâattache rapidement Ă vos personnages. On aurait aimĂ© les revoir dans un autre Ă©pisode, comme dans une sĂ©rie.
Eh bien, figurez-vous que jây ai pensĂ©. Mon film, une fois arrivĂ© en montage, durait trois heures trente. TrĂšs vite, je suis allĂ© Ă lâessentiel. Jâadore le cinĂ©ma et je nâaime plus les sĂ©ries. Je ne regarde plus de sĂ©ries, jâai dĂ©crochĂ© voilĂ quatre ou cinq ans Ă cause de cet Ă©tirement du rĂ©cit. Le cinĂ©ma, ça consiste Ă raconter lâhistoire en deux heures. On se lâimpose et câest un bel exercice. Mais sur une sĂ©rie de dix heures, on peut tout Ă©tirer, lâhistoire, les plans. Ăa mâa dĂ©goĂ»tĂ©. Jâadore lâidĂ©e de ne pas avoir le temps de tout raconter pour que ça devienne vertigineux.
Le film se termine sur une fort belle scĂšne de danse au son de la chanson Begginâ de Frankie Valli & The Four Seasons. Au tournage, Ă©tait-ce la chanson qui jouait?
Ha! Ha! Eh bien, non. On dansait plutÎt sur du Daft Punk devant la caméra.
En terminant, votre rythme de tournage est effarant. PrĂ©sentement, vous enchaĂźnez les rĂŽles comme Olivier Gourmet peut le faire. On vient de vous voir dans LâInnocent puis dans Les Enfants des autres qui sortira au QuĂ©bec cet Ă©tĂ©. Ensuite, vous serez au gĂ©nĂ©rique de six autres longs mĂ©trages en 2023. Câest fou!
Oui et câest Ă cause du COVID. Cette crise mâa permis de voir ce que câĂ©tait que de mener une vie sans passion, sans vivre de sa passion. Jâai rĂ©alisĂ© le privilĂšge que jâavais de faire des films et câest vrai que depuis, jâai accentuĂ© le rythme et le nombre de tournages. |
Cette entrevue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre des Rendez-vous du cinĂ©ma 2023 dâUniFrance.