CrĂ©dit photoâ: Unifrance
Entrevue avec les cinĂ©astes Alice Douard et Monia Chokri pour la sortie du film Des preuves d’amour.
Des preuves dâamour est le premier long mĂ©trage de la scĂ©nariste et rĂ©alisatrice française Alice Douard. InspirĂ©e de sa propre vie, lâhistoire explore la place et la lĂ©gitimitĂ© dâune femme qui attend son premier enfant, alors que câest sa conjointe qui en assure la grossesse. Au gĂ©nĂ©rique, on retrouve la comĂ©dienne et cinĂ©aste quĂ©bĂ©coise Monia Chokri, qui incarne Nadine, celle qui porte lâenfant.
Lâhistoire est inspirĂ©e dâĂ©vĂ©nements de votre propre vie. Comment avez-vous abordĂ© lâĂ©criture du scĂ©narioâ?
Aliceâ: Je suis maman dâune petite fille que je nâai pas portĂ©e et que jâai dĂ» adopter, mais je voulais Ă©videmment que le film dĂ©passe mon histoire personnelle. Jâai donc rencontrĂ© de nombreuses femmes qui ont eu des enfants en couple, certaines avant la loi Taubira sur le mariage pour tous, qui ne faisaient pas lĂ©galement famille, et dâautres aprĂšs. Ce qui revenait chez toutes ces femmes, câĂ©tait la question du doute, de la place, de la lĂ©gitimitĂ©, et cette idĂ©e de direâ: « Jâattends un enfant, mais je ne suis pas enceinte. » Cela a Ă©tĂ© le point de dĂ©part du scĂ©nario. Je voulais remettre lâamour et la joie au cĆur de ces familles, sortir des caricatures que lâon a beaucoup entendues en France, oĂč la loi sur le mariage pour tous a Ă©tĂ© trĂšs, trĂšs contestĂ©e. Il y a eu prĂšs dâun million de personnes dans la rue contre ce projet de loi. Jâai voulu faire ce film comme une rĂ©ponse Ă cette violence et remettre lâamour au centre.
Quâavez-vous vu en Ella Rumpf et Monia Chokri pour les rĂŽles de CĂ©line et Nadineâ?
Aliceâ: La premiĂšre fois que jâai vu Ella, câĂ©tait dans Grave de Julia Ducournau. Elle y tenait un rĂŽle secondaire, mais jâavais lâimpression de ne voir quâelle. Câest une actrice dâune grande cinĂ©gĂ©nie, trĂšs prĂ©cise dans les silences. Son personnage est celui qui parle le moins dans le film. Le film est trĂšs dialoguĂ©, mais elle, elle parle peu. Il fallait une actrice sur laquelle on puisse projeter beaucoup. Jâai parfois lâimpression quâon filme son Ăąme. Elle a une grande poĂ©sie. Et jâai eu la chance quâelle accepte. Jâavais aussi envie de constituer un couple fort de cinĂ©ma lesbien. Je trouvais quâElla et Monia formaient un duo trĂšs contemporain, trĂšs beau. Elles sont trĂšs diffĂ©rentes lâune de lâautre et, en mĂȘme temps, elles fonctionnent extrĂȘmement bien ensemble. CâĂ©tait un cadeau quand jâai proposĂ© le rĂŽle Ă Monia en lui disantâ: «âTa partenaire sera Ella.â» Je crois que ça tâa plu.
«âJâavais envie de constituer un couple fort de cinĂ©ma lesbien, et je trouvais quâElla et Monia formaient un duo trĂšs contemporain et trĂšs beau. Elles sont trĂšs diffĂ©rentes lâune de lâautre et, en mĂȘme temps, elles fonctionnent extrĂȘmement bien ensemble.â»
â Alice Douard
Monia, comment sâest dĂ©roulĂ©e cette rencontre avec votre partenaire de jeuâ?
Moniaâ: JâĂ©tais fan dâelle, exactement comme Alice, depuis que je lâai dĂ©couverte dans Grave. Et avec Ella, ça a Ă©tĂ© une Ă©vidence. Câest une femme extrĂȘmement solaire, trĂšs forte, mais aussi assez aĂ©rienne. Moi, je suis plus ancrĂ©e, plus terrienne. Jâai lâimpression quâelle mâĂ©levait vers le ciel et que, parfois, je la ramenais sur terre (rire). Il y avait une grande complicitĂ© entre nous. Ă un moment, on avait fait une rĂ©pĂ©tition â ou quelque chose comme ça â puis on est allĂ©es boire un verre ensemble. CâĂ©tait au dĂ©but du travail. On a beaucoup parlĂ© de nos vies. En se quittant, elle mâa prise dans ses bras et mâa ditâ: « On va faire un enfant ensemble. » Elle Ă©tait trĂšs Ă©mue. Et lĂ , on y a vraiment cru.
Quâest-ce qui vous plaisait dans le scĂ©nario dâAliceâ?
Moniaâ: Dâabord, le fait de pĂ©nĂ©trer dans un univers qui ne mâĂ©tait pas familier. Je trouvais ça passionnant. Jâai aussi Ă©normĂ©ment aimĂ© ma rencontre avec Alice. Câest son premier long mĂ©trage, et ce nâest pas toujours Ă©vident de sâimmerger dans un univers en construction, mais je sentais quâelle savait exactement ce quâelle voulait faire. Je la trouvais intelligente, profonde, ouverte Ă la rĂ©flexion et attentive aux dĂ©tails de son projet. Cela faisait longtemps que je nâavais pas tournĂ© en France, et jâĂ©tais heureuse dây revenir avec un projet comme celui-lĂ .
Vous ĂȘtes aussi rĂ©alisatrice. En quoi cela influence-t-il votre jeu de comĂ©dienneâ?
Moniaâ: Depuis que je rĂ©alise, je suis moins dans lâattente du dĂ©sir des autres. Cela me permet dâĂȘtre beaucoup plus dĂ©tendue dans mon jeu, parce que je nâai plus besoin de prouver quoi que ce soit ou dâavoir peur de ne pas ĂȘtre assez dĂ©sirĂ©e. Et, de maniĂšre plus technique, ma connaissance du travail de rĂ©alisation me donne une plus grande acuitĂ© par rapport aux aspects techniques du tournage. Je pense quâun grand acteur de cinĂ©ma est aussi quelquâun qui sait jouer avec la technique, avec les techniciens, et pas seulement avec les situations ou les autres acteurs.
Alice, la chimie entre Monia et Ella est trĂšs forte Ă lâĂ©cran. Avez-vous beaucoup rĂ©pĂ©tĂ© avant le tournageâ?
Aliceâ: Pas tant que ça. Nous avons fait une lecture pour ajuster certains passages, modifier quelques mots, notamment avec le personnage de lâactrice NoĂ©mie Lvovsky. Ensuite, nous avons surtout travaillĂ© lors des essais camĂ©ra, pour dĂ©terminer quelles focales correspondaient Ă chaque personnage, Ă quelle distance filmer. Nous avons collaborĂ© Ă©troitement avec la costumiĂšre, le chef dĂ©corateur et le directeur de la photographie pour construire lâimage du couple. Et puis, parfois, on se disait quâon allait rĂ©pĂ©ter, et finalement on passait lâaprĂšs-midi Ă discuter (rire). Tu tâen souviensâ?
Moniaâ: Oui, on apprenait Ă se connaĂźtre.
«âDepuis que je rĂ©alise, je suis moins dans lâattente du dĂ©sir des autres, ce qui me permet dâĂȘtre beaucoup plus dĂ©tendue dans mon jeu.â»
â Monia Chokri
Quelle scĂšne a Ă©tĂ© la plus difficile Ă tournerâ?
Aliceâ: Câest un film faussement simple, avec des dĂ©fis constants (rire). Par exemple, la scĂšne oĂč elle chante You and Me en boĂźte de nuit. Comme notre budget Ă©tait modeste et que nous ne pouvions pas engager beaucoup de figurants, nous avons tournĂ© dans une vraie boĂźte. CâĂ©tait complexe de construire quelque chose de trĂšs prĂ©cis dans ces conditions. Il y avait aussi les prothĂšses de grossesse pour Moniaâ: quatre heures de pose Ă chaque fois. CâĂ©tait trĂšs technique.
Moniaâ: Cette prothĂšse est impressionnante. On peut tourner Ă 360 degrĂ©s, sans aucun point de collage visible. On se demande oĂč est lâattache⊠et en fait, il nây en a pas. Câest entiĂšrement moulĂ© sur le corps.
Aliceâ: Il y a aussi eu la scĂšne de la naissance.
Moniaâ: Oui, surtout avec le vrai bĂ©bĂ©.
Aliceâ: Le bĂ©bĂ© avait rĂ©ellement une heure. Nous avons mis en place un dispositif entre documentaire et fiction. Jâai dâabord filmĂ© les premiers soins de lâenfant comme dans un documentaire. Ensuite, nous avons reconstituĂ© la salle de maternitĂ© en studio. Les actrices jouent avec les mĂȘmes soignantes, de vraies professionnelles, qui avaient prodiguĂ© les soins au bĂ©bĂ©. CâĂ©tait un mĂ©lange trĂšs particulier de rĂ©el et de fiction.
Monia, comment avez-vous vĂ©cu le fait de porter le bodysuit de grossesseâ?
Moniaâ: CâĂ©tait mon plus grand dĂ©fi (rire). CâĂ©tait Ă©puisant dâavoir un ventre tous les jours. Il changeait selon les scĂšnes. En plus, on tournait en Ă©té⊠Jâavais trĂšs chaud (rire)â!
La comĂ©die dramatique Des preuves dâamour prendra lâaffiche le 25 dĂ©cembre.


