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Entrevue avec Chloé Cinq-Mars

Crédit photo: FunFilm Distribution

Entrevue avec la cinéaste Chloé Cinq-Mars pour la sortie du film Peau à peau.

Chloé Cinq-Mars écrit pour le cinéma et la télévision depuis près de 20 ans. Elle a scénarisé plusieurs courts métrages qui se sont distingués ici comme à l’international. Elle a également écrit le long métrage Dérive (2018), réalisé par son conjoint, David Uloth. Peau à peau est son premier long métrage à titre de réalisatrice.

Qu’est-ce qui vous a inspiré l’histoire du film ?

Elle a pris forme avec ma propre dépression post-partum quand mon fils est né. En fait, je ne savais pas que j’étais en dépression post-partum à ce moment-là. Puis, quelques années plus tard, j’ai eu l’idée de faire un film qui était franchement plus dur que Peau à peau. C’était vraiment un scénario où je m’en prenais à la mère. Je réglais des comptes avec moi-même, en fait. Après, j’ai eu ma fille et j’ai mis ça de côté. Quand elle est née, j’ai réalisé à quel point je l’avais eu vraiment rough la première fois, tellement que je ne voulais pas accoucher d’elle. J’ai vu une psychologue pour qu’elle m’aide pour l’accouchement. C’est elle qui m’a dit : « Tu as fait une belle grosse dépression post-partum. » J’ai donc revisité l’histoire, dans laquelle maintenant j’espère qu’on éprouve beaucoup d’empathie pour la mère qui vit ce cauchemar.

Le film joue avec les codes du thriller. Était-ce prévu dès le départ ou ce ton est venu graduellement au fil de l’écriture ?

Dès le départ, je pense que je jouais déjà un peu avec ces codes-là. Je savais que je voulais faire un film qui était plus comme La Double vie de Véronique, mais qui dégénère en film d’horreur dans le style de Polanski (rire). J’aimais beaucoup l’idée de la fluidité des genres. J’aime aussi le réalisme magique. J’ai toujours joué avec ça, même dans mes courts métrages. Je savais que je voulais une espèce de porosité entre la réalité pis le cauchemar. Dès le départ, je me suis dit : « Bien forcément, l’enfant est en danger. C’est toujours ça l’inquiétude, hein ? Quand une mère est en post-partum. » C’est pour ça qu’on ne s’occupe pas assez des mères, je pense. On a peur que le bébé soit en danger, donc on protège le bébé. Je me disais : « Elle vit vraiment un cauchemar parce qu’elle ne sait pas qu’elle est un danger pour son bébé. » C’est ça qui a fait que j’ai choisi la structure du thriller pour rendre cette réflexion.

Quel était le plus grand défi d’écriture ?

La structure était vraiment le plus grand défi. La réécriture s’est même faite jusqu’au montage, dans le sens où rendre une psychique qui s’érode à l’écrit, ce n’est pas simple. Je voulais qu’elle soit envahie de plus en plus par son trauma, par les souvenirs qui ressurgissent et qui l’empêchent de fonctionner. Mais il fallait savoir doser à quel point je voulais en dire sur son trauma. Il y a eu des versions du scénario où franchement, c’était presque moitié-moitié entre son histoire au passé et celle au présent. Finalement, plus ça évoluait, plus je me disais : « En fait, non, je veux juste montrer à quel point ça s’est trop mal passé. Je n’ai pas tant besoin de savoir très exactement les détails. »

« L’histoire a pris forme avec ma propre dépression post-partum quand mon fils est né. »

Qu’est-ce qui a guidé votre choix de Rose-Marie Perreault pour le rôle de Pénélope?

J’ai passé beaucoup de gens en audition, même des mères qui allaitaient (rire). Sauf que là, à un moment donné, j’ai fait OK, il me faut une mère qui allaite, un bébé qui a deux mois et qui n’est pas trop gros puisqu’il a des problèmes de santé, faut que ce bébé-là, ça soit des jumeaux pour arriver dans notre horaire de tournage. J’ai dit : « Non, ça n’arrivera pas.» (rire) Ça a l’air niaiseux, mais pour moi, l’allaitement au grand écran, c’était essentiel. Il fallait que je montre ça, Pour trouver des jumeaux, il fallait que la mère accepte que ses bébés prennent le sein d’une actrice, mais là, est-ce qu’elle voudrait qu’ils prennent le sein d’une actrice qui a du lait ? II fallait aussi une actrice qui allait jouer tout ça. En tout cas, c’était un casse-tête pas possible. La vérité, c’est que je me souvenais avoir vu Rose-Marie dans un court métrage quelques années plus tôt. 
C’était un court métrage vraiment dark, comme trop dark même (rire), mais elle était tellement belle, lumineuse et charmante. Je me suis dit : « C’est ça qu’il me faut! Il me faut une actrice qu’on aime, peu importe ce qu’elle fait, même si on trouve qu’elle est une mauvaise mère. » Je ne le regrette pas, parce que je la trouve tellement bonne et généreuse. J’espère vraiment que les gens vont voir ce qu’elle est capable de faire parce que c’est phénoménal!

Donc, c’est vraiment Rose-Marie qui donne le sein à l’enfant ? C’est quand même un geste très intime. J’imagine qu’elle a dû avoir une certaine préparation psychologique.

J’avais une marraine d’allaitement qui avait préparé Rose-Marie en lui montrant comment mettre le bébé au sein, comment l’enlever, tout ça. 
Pendant le tournage, elle avait une consultante en lactation qui l’aidait aussi et qui lui expliquait comment faire, qui lui donnait une petite crème ou un petit onguent si jamais elle avait des douleurs. Elle avait aussi une coordonnatrice d’intimité. Elle était bien entourée, mais c’était vraiment complexe !

Quelle scène a justement été la plus complexe à tourner ?

Celle sur l’eau. C’était d’une complexité inouïe, parce que on avait des animaux et des cascadeurs dans l’eau. L’actrice, qui n’avait que 14 ans à l’époque, débutait. Puis, il faisait froid, donc il lui fallait une combinaison pour garder la chaleur. En plus, il fallait qu’on respecte la direction du soleil afin que les images soient raccords. C’était vraiment un casse-tête (rire) !

En plus d’avoir eu une première à Fantasia à Montréal, Peau à peau a également remporté le prix de la meilleure réalisatrice canadienne. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Étant très émotive comme personne (rire), à la première, je me disais : « Je vais partir à pleurer ! » (rire) C’était paradoxal parce que j’ai tellement souffert de la solitude avec ma propre dépression post-partum. Je n’arrivais pas à m’exprimer, ni à demander de l’aide. Puis là, je me retrouvais devant une salle de 700 personnes avec toute mon équipe et je me disais : « Mon Dieu, c’est complètement fou ! Je passe de la solitude complète à un public de centaines de personnes qui écoutent mon histoire. » C’était très touchant pour moi personnellement. Puis de remporter le prix, ça, je n’en revenais pas ! Je sais que c’est un film qui joue avec les genres, mais ce n’est pas un slasher. Ce n’est pas de l’horreur pure, donc je n’étais pas sûre que le public qui consomme les films de genre aimerait ce film-là. J’étais vraiment fière, car je ne m’y attendais absolument pas. J’étais juste heureuse de ça. Tu sais, si ça peut amener des gens en salle aussi… C’est ça qui compte pour moi : rejoindre les gens. |

Le drame psychologique Peau à Peau est présentement à l’affiche.