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Entrevue avec le cinéaste Régis Wargnier pour la sortie du film La Réparation.
RĂ©gis Wargnier compte plus de 50 ans de mĂ©tier dans le monde du cinĂ©ma. Dâabord assistant-rĂ©alisateur, le cinĂ©aste remporte en 1987 le CĂ©sar de la meilleure premiĂšre Ćuvre pour son long-mĂ©trage La Femme de ma vie. En 1993, câest la consĂ©cration Ă lâinternational pour Indochine, qui remporte lâOscar du meilleur film Ă©tranger. LâannĂ©e 2024 marque finalement le grand retour de Wargnier au cinĂ©ma, alors que La RĂ©paration est le premier film du cinĂ©aste français en dix ans. Mettant en vedette Clovis Cornillac et Julia de Nunez, ce drame raconte la disparition soudaine et inexpliquĂ©e dâun chef cuisinier qui va bientĂŽt recevoir sa troisiĂšme Ă©toile au guide Michelin.
Pourquoi ces dix longues annĂ©es pour ce nouveau filmâ?
Jâai refusĂ© des propositions de tournage, des films plus ou moins europĂ©ens, en langue anglaise, des adaptations de livres. Si je ne suis pas Ă 100 %, je nây vais pas. Et puis, jâai fait pas mal de choses, mais jâai continuĂ© Ă faire du cinĂ©ma autrement. Jâai Ă©crit deux romans dans lesquels il est question de cinĂ©ma un peu. Jâai participĂ© Ă des commissions au Centre du cinĂ©ma. Jâai acceptĂ© la proposition que mâavait faite le prĂ©sident François Hollande dâentrer au Conseil Ă©conomique social et environnemental, qui est la troisiĂšme assemblĂ©e de lâĂtat en France. VoilĂ , jâai fait ça pendant cinq ans. Enfin, câest pas mal de travail (rire). Jâaurais pu tourner en mĂȘme temps, mais bon, jâai fait ça assez sĂ©rieusement.
Ă 77 ans, quâest-ce qui vous garde encore passionnĂ© pour retourner derriĂšre la camĂ©ra et vouloir raconter cette histoireâ?
Câest tout dâun coup des personnages, une envie de filmer, une intrigue, des sentiments⊠Ăa ne se commande pas. Il y a eu une circonstance aussi. Vous savez, jâavais travaillĂ© il y a longtemps sur un scĂ©nario qui racontait dĂ©jĂ lâhistoire de la disparition dâun chef. CâĂ©tait beaucoup plus un polar et peut-ĂȘtre plus violent. CâĂ©tait diffĂ©rent. Je nâavais pas Ă©tĂ© au bout de ce projet, mais jâavais pas mal travaillĂ© dĂ©jĂ sur les chefs, leur caractĂšre, leurs exigences, qui ressemblent un peu aux metteurs en scĂšne (rire). Et puis lĂ , dans un groupe dâamis proche de moi, il y a eu cet Ă©vĂ©nement dâune disparition. OK. Donc, jâai assistĂ© à ça, Ă la fois proche et pas trop proche. Câest comme tomber dans un gouffre, parce que ce nâest pas un deuil ni une mort. Surtout, la plupart des gens qui disparaissent, ils prĂ©parent leur coup. Ils savent dĂ©jĂ oĂč ils vont aller. Ils changent dâidentitĂ©, souvent. Enfin, câest un truc incroyable. GĂ©nĂ©ralement, il nây a pas de signe avant-coureur. Et câest trĂšs perturbant, quoi. Il nây a pas de clĂ©, il nây a rien. Et ça peut crĂ©er dans lâentourage, tout dâun coup, des turbulences, des mĂ©fiances. Peut-ĂȘtre que quelquâun sait, peut-ĂȘtre que quelquâun est complice. Donc, jâai vu ça et jâai repris cette idĂ©e. Et puis, jâai rĂ©flĂ©chi Ă la gastronomie en me disantâ: «âTiens, ce ne sera pas une enquĂȘte avec des indices traditionnels sur des cadavres ou de lâADN, mais ce sera le sensoriel.â» Comme son pĂšre lâa Ă©duquĂ©e dans le sensoriel, dans le goĂ»t, dans le palais, câest avec cette arme-lĂ que Clara pourra sâapprocher de lui. CâĂ©tait ça lâidĂ©e. Et je me suis ditâ: «âAllez lĂ , jâai envie de mây remettre.â»
«âJâavais travaillĂ© il y a longtemps sur un scĂ©nario qui racontait dĂ©jĂ lâhistoire de la disparition dâun chef. CâĂ©tait beaucoup plus un polar et peut-ĂȘtre plus violent. CâĂ©tait diffĂ©rent. Je nâavais pas Ă©tĂ© au bout de ce projet, mais jâavais pas mal travaillĂ© dĂ©jĂ sur les chefs, leur caractĂšre, leurs exigences, qui ressemblent un peu aux metteurs en scĂšne (rire).â»
Quels Ă©taient les dĂ©fis dâĂ©criture du scĂ©narioâ?
Jâai travaillĂ© seul pendant un bout de temps. Jâai rencontrĂ© des chefs. Et puis aprĂšs, je me suis dit que le personnage central, câest Clara. Mais une jeune fille de 20 ans, je ne sais plus trĂšs bien ce que câest (rire). Jâai fait appel Ă une scĂ©nariste que je connaissais, que jâavais fait dĂ©buter par des ateliers. CâĂ©tait une amie. Je lui ai ditâ: «âAide-moi. Le personnage central, dis-moi ce que tâen penses. Est-ce que ça se tient, le caractĂšre, les dialoguesâ?â» On a travaillĂ© comme ça. Ăa a pris du temps, mais contrairement Ă quand jâavais 30 ou 40 ans, je nâĂ©tais pas dans lâurgence (rire). Et puis, ce qui a confortĂ©, câest quand on a choisi Taiwan. LĂ , jâai Ă©tĂ© faire des repĂ©rages. Une fois que jâavais fait des repĂ©rages, jâai repris un peu le scĂ©nario. Jâai Ă©tĂ© confrontĂ© Ă des rĂ©alitĂ©s qui mâintĂ©ressaient beaucoup. Je me suis ditâ: autant les mettre dans le scĂ©nario tout de suite.
Est-ce que ce fut un long processus pour trouver la comĂ©dienne qui allait interprĂ©ter Clara ou Julia de Nunez sâest imposĂ©e dĂšs le dĂ©partâ?
Jâavais trouvĂ© une comĂ©dienne avant, trĂšs intĂ©ressante, que jâavais rencontrĂ©e par hasard dans une soirĂ©e au Centre du cinĂ©ma. Je ne savais mĂȘme pas quâelle Ă©tait actrice (rire)â! Mais il mâa fallu du temps pour comprendre, parce que je suis un peu naĂŻf lĂ -dessus, que cette jeune femme avait certaines dĂ©pendances. Moi, je ne vois pas ça tout de suite. Mais bon, les excuses bizarres pour les retards. Il y a un moment oĂč vous vous ditesâ: «âIl y a un truc qui ne va pas. Je ne peux pas emmener cette jeune fille en Asie. Câest trop risquĂ© Ă tous les niveaux, quoi.â»
Ătait-ce proche du tournageâ?
Oui, Ă trois mois. Câest dingue, trois moisâ! Et lĂ , jâai demandĂ© au directeur de casting de revoir des jeunes comĂ©diennes. Et puis, jâen ai vu quatre ou cinq. Et elles avaient lu le scĂ©nario. Elles Ă©taient toutes trĂšs dĂ©sireuses de le faire. Mais Ă un moment, on ne parle plus du scĂ©nario, parce quâon parle de tout, des Ă©vĂ©nements, de la vie, des castings avec les autres, de ce quâelles ont traversĂ©, de leur famille. Et puis, peu Ă peu, il y a quelque chose qui se passe ou pas. Il faut que ce soit dans les deux sens, dâailleurs. Et avec Julia, ce que jâaimais bien, câest que de temps en temps, elle avait des Ă©clats de rire comme une adolescente. Elle avait aussi des choses personnelles quâelle a vĂ©cues qui ressemblaient un peu Ă des moments du scĂ©nario. Je sentais quâil y avait beaucoup dâĂ©motions. Elle Ă©tait Ă la fois encore ado, et puis, tout dâun coup, la vie lâavait amenĂ©e aussi Ă ĂȘtre un peu plus femme. Je me disais, elle est pile dans la frontiĂšre oĂč est le personnage, quoi. Un personnage insouciant qui, au dĂ©but, se dĂ©guise pour faire des soirĂ©es un peu Ă©rotiques (rire). Et puis qui se retrouve tout dâun coup Ă devenir responsable et une jeune femme, parce que la vie lui ordonne de prendre les choses en main. Donc, elle Ă©tait au milieu de ça.
Quâaviez-vous vu en Clovis Cornillac pour le rĂŽle de Paskal Jankovski, le chef qui disparaĂźtâ?
Clovis, câest un de nos grands acteurs. Il a une autre qualitĂ© trĂšs forte pour moi, câest quâil est metteur en scĂšne de cinĂ©ma. Et que la plupart des acteurs que je connais qui ont fait de la mise en scĂšne, ils ont un comportement diffĂ©rent des autres. Parce quâils sont conscients de la charge qui est lĂ . Ils savent la bataille quâon a menĂ©e pour arriver au financement, pour arriver Ă tourner. Et donc, ils sont avec vous. Ils ne sont jamais contre vous. Sâils ont une idĂ©e, ils la proposent, on la prend ou on ne la prend pas, ce nâest pas grave. Ils sont trĂšs attentifs. Ils deviennent presque des partenaires. Et puis, moi, Clovis, jâavais dĂ©jĂ proposĂ© de travailler avec lui sur des films prĂ©cĂ©dents, mais il nâĂ©tait pas libre. En plus, je sais que câest un homme de goĂ»t, câest un homme de sensualitĂ©. Il aime le vin, il aime la bouffe. Il avait dĂ©jĂ jouĂ© un chef pour une sĂ©rie, pour France 2. Donc, il avait dĂ©jĂ toute la technique, les dĂ©placements, le jeu. Câest un rĂ©gal, parce quâil connaissait lâĂ©quipe technique, parce quâil connaĂźt tout le monde. Il a Ă©tĂ© trĂšs agrĂ©able pour les jeunes acteurs. Câest un trĂšs bon partenaire pour les jeunes. Quand il vient comme ça sur un film, câest parce que je crois quâil respecte mon travail. Il a envie que ce soit bien. Câest du jeu. Il joue dans tous les sens. Il joue, il est content.
En terminant, comment vous dĂ©crivez-vous comme rĂ©alisateur avec vos comĂ©diensâ?
Je crois que je suis assez directeur dans le sens du mot direction. Moi, jâai lâimpression dâĂȘtre assez souple. Mais quand je les Ă©coute, eux, ils ont le sentiment dâĂȘtre vraiment dirigĂ©s. Quâest-ce que je dirais aussiâ? Je dirais un truc, ce nâest peut-ĂȘtre pas trĂšs glorieux, mais je dirais que je suis travailleur. Je travaille, jâĂ©cris, je prĂ©pare, je fais tous les repĂ©rages moi-mĂȘme. Je rentre dans le film, dans les lieux. Ces impressions, je les garde, je les donne aux personnages. Je fais le chemin jusquâĂ la fin du mixage. Ăa, câest lâĂ©cole dâavant (rire).
Le drame La RĂ©paration est prĂ©sentement Ă lâaffiche.
