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John Murphy

Image tirée du film 28 jours plus tard (2002)

NĂ© Ă  Liverpool en 1965 (l’annĂ©e du lancement de l’album culte Rubber Soul des Beatles), le Britannique John Murphy avait neuf ou dix ans lorsqu’il a commencĂ© Ă  s’intĂ©resser Ă  la guitare et au piano. Musicien autodidacte, il amorce sa carriĂšre dans les annĂ©es 1980, en collaborant avec diverses formations musicales, dont The Lotus Eaters, un groupe de musique new wave dont les membres Ă©taient Ă©galement originaires de Liverpool.

À l’ñge de 27 ans, Murphy se tourne vers la musique de film en collaborant avec le producteur et rĂ©alisateur Vadim Jean, son aĂźnĂ© de deux ans Ă  peine. Il apprend le mĂ©tier et s’initie Ă  tous les genres, faisant ses premiers pas dans la crĂ©ation d’univers sonores destinĂ©s Ă  amplifier les Ă©motions, en fonction des besoins du film et des dĂ©sirs du rĂ©alisateur.

La comĂ©die irrĂ©vĂ©rencieuse Leon the Pig Farmer (1992), le film d’horreur Beyond Bedlam mettant en vedette Elizabeth Hurley (1994), le drame Clockwork Mice (1995), le film familial The Real Howard Spitz (Samantha et Monsieur Spitz, 1998) et le drame romantique One More Kiss (1999) ne sont peut-ĂȘtre pas passĂ©s Ă  l’histoire, notamment en termes de budget, mais ils ont sans nul doute grandement contribuĂ© Ă  la polyvalence du compositeur. On lui doit l’angoissante musique de 28 Days Later (28 jours plus tard, 2002), rĂ©alisĂ© par Danny Boyle, ainsi que celle du dernier Superman, rĂ©alisĂ© par James Gunn et dont la sortie est prĂ©vue en juillet.

En 1998, le Liverpoolien commençait Ă  faire sa marque lorsqu’il est recrutĂ© par le jeune Guy Ritchie, qui rĂ©alise la comĂ©die noire Lock, Stock and Two Smoking Barrels (Arnaques, combines et botanique). À l’époque, la bande sonore est qualifiĂ©e d’audacieuse et originale par la critique. Deux ans plus tard, Ritchie fait donc Ă  nouveau appel Ă  lui pour le film Snatch (Snatch : Tu braques ou tu raques) dans lequel jouaient Brad Pitt et Benicio Del Toro. La mĂȘme annĂ©e, le compositeur crĂ©e Ă©galement la musique du touchant drame social Liam, de Stephen Frears, campĂ© dans le Liverpool des annĂ©es 1930.

À partir des annĂ©es 2000, Murphy commence Ă  recevoir des offres outre-Atlantique et sa carriĂšre dans le milieu cinĂ©matographique prend de la vitesse. En 2005, il chausse les souliers de Jerry Goldsmith en crĂ©ant la musique de Basic Instinct 2. L’annĂ©e suivante, il s’illustre grĂące Ă  Miami Vice : Deux flics Ă  Miami, dont l’ambiance musicale est plus contemporaine et immersive que celle de la sĂ©rie des annĂ©es 1980. Mais c’est en collaborant avec Danny Boyle Ă  trois reprises que le compositeur attire rĂ©ellement l’attention.

Retracer le parcours de John Murphy, de l’autoapprentissage Ă  son statut de compositeur prisĂ© Ă  Hollywood, est fascinant et essentiel pour saisir sa dĂ©marche artistique.

Sorti en 2002, 28 jours plus tard connaĂźt un succĂšs commercial d’envergure et la bande originale du film est loin d’ĂȘtre Ă©trangĂšre Ă  cette rĂ©ussite. Tour Ă  tour sobre et Ă©lĂ©gante, puissante et angoissante, la musique de Murphy, oĂč dominent la guitare Ă©lectrique, la basse et le synthĂ©tiseur, fait beaucoup parler d’elle. Hypnotique Ă  souhait, la piĂšce In The House – In A Heartbeat s’élĂšve d’ailleurs rapidement au rang de musique culte auprĂšs des amateurs du genre. AprĂšs l’avoir entendu une premiĂšre fois, on ne peut se sortir ce thĂšme de la tĂȘte. (Essayez donc pour voir !)

Si l’accueil rĂ©servĂ© par le public aux films Millions et Sunshine (Les Derniers rayons du soleil) est plus mitigĂ©, les deux trames musicales reçoivent, elles, des critiques extrĂȘmement positives. Le somptueux Adagio en D mineur de Sunshine a d’ailleurs Ă©tĂ© rĂ©utilisĂ© de nombreuses fois aux fins de bandes-annonces et de publicitĂ©s diverses. Une musique Ă©lĂ©gante et puissante, vous disais-je.

Le talent du multi-instrumentiste sert particuliĂšrement bien les thrillers, les films d’action ou de science-fiction, on l’aura compris. Sa musique peut se faire angoissante, trĂšs musclĂ©e ou carrĂ©ment planante, au grĂ© des besoins, mais surtout, elle parle aux tripes de ceux qui l’entendent. Chose Ă©tonnante, le virtuose de la guitare Ă©lectrique, qui avoue ĂȘtre un bourreau de travail et carburer Ă  la passion, ne sait pas lire la musique. À Hollywood, oĂč gros budget rime avec grands orchestres, cela peut paraĂźtre incroyable, et pourtant.

Lors d’une entrevue accordĂ©e au magazine Rolling Stone, Murphy tĂ©moigne avoir appris Ă  jouer « en Ă©coutant » : « À neuf ou dix ans, je voulais jouer de la guitare et du piano, mais il ne m’est jamais venu Ă  l’idĂ©e de suivre des cours. Liverpool n’était pas exactement le genre d’endroit oĂč on trouvait des Ă©coles de musique, de toute façon. Avec mes copains, si l’un de nous apprenait un nouvel accord, une nouvelle chanson ou une nouvelle façon de jouer quelque chose, il le montrait aux autres et c’est ainsi que nous faisions des progrĂšs. »

Retracer le cheminement de Murphy, depuis ses annĂ©es d’autoapprentissage jusqu’à son classement au rang des compositeurs les plus en demande Ă  Hollywood, est absolument fascinant et surtout crucial pour comprendre sa dĂ©marche artistique.

« À mes dĂ©buts Ă  Hollywood, il est arrivĂ© Ă  de nombreuses reprises que je me retrouve complĂštement dĂ©passĂ© techniquement, notamment lors des sessions avec de grands orchestres », a-t-il rĂ©vĂ©lĂ© au Rolling Stone, expliquant qu’on lui a finalement trouvĂ© un interprĂšte, c’est-Ă -dire un orchestrateur en mesure de « traduire » sa musique. « Il y a bien sĂ»r eu des moments oĂč j’ai regrettĂ© de ne pas avoir de bagage acadĂ©mique », avoue l’homme de 60 ans, « mais ces moments sont de plus en plus rares. Il m’a toujours Ă©tĂ© facile de transposer Ă  la guitare ou au piano une mĂ©lodie qui me trottait dans la tĂȘte. Il est tout aussi facile de l’arranger ensuite avec un orchestre synthĂ©tique. Tant que cela fonctionne, c’est ainsi que je travaille, c’est-Ă -dire par instinct. J’écris des thĂšmes au piano, par exemple, puis je les superpose dans le film, instrument par instrument, jusqu’à ce que tout me semble juste. Il ne reste ensuite qu’à le faire transcrire pour l’orchestre. »

Une chose est certaine, les mĂ©lodies de John Murphy font merveille autant pour alimenter et soutenir un climat de tension que pour souligner la rĂ©demption ou appuyer des cĂ©lĂ©brations. Le crĂ©ateur sait faire battre les cƓurs Ă  l’unisson et c’est pour cela qu’Hollywood se l’arrache.

Que serait le cinĂ©ma sans la musique ? |