CrĂ©dit photoâ: Unifrance / Marie Rouge
Entrevue avec les cinéastes Delphine et Muriel Coulin pour la sortie du film Jouer avec le feu.
Adaptation du roman Ce quâil faut de nuit de Laurent Petitmangin, paru en 2020, Jouer avec le feu est le troisiĂšme long mĂ©trage de fiction des sĆurs Delphine et Muriel Coulin. Le film a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© en compĂ©tition Ă la Mostra de Venise 2024, oĂč Vincent Lindon a remportĂ© la coupe Volpi de la meilleure interprĂ©tation masculine. Ă lâoccasion de la sortie du film, MonCinĂ© sâest entretenu avec les deux cinĂ©astes.
Quâest-ce qui vous a plu dans le roman de Laurent Petitmangin et qui vous a donnĂ© lâenvie dâen faire une adaptation cinĂ©matographiqueâ?
Delphine Coulinâ: On sâinquiĂ©tait de la situation politique en France. On se disait quâil nây avait pas beaucoup de films qui traitaient de ça. Puis, il y a un ami qui nous a fait lire ce roman. Et ça nous semblait trĂšs pertinent dâavoir le point de vue du pĂšre vis-Ă -vis la radicalisation du fils. Ăa permettait de faire de ce pĂšre lâemblĂšme dâun pays tout entier.
Avez-vous apportĂ© des changements significatifs Ă lâintrigueâ?
Delphineâ: On a fait deux gros changements. Le roman commence avec la lente disparition de la mĂšre. Pour une entrĂ©e de film, ça pouvait devenir trĂšs lourd. Le challenge a Ă©tĂ© de rendre la mĂšre aussi importante par son absence. On a eu Ă cĆur dans notre mise en scĂšne de toujours montrer la place vide de la mĂšreâ: Ă la table de la cuisine et dans le lit. Si elle avait Ă©tĂ© lĂ , peut-ĂȘtre que les choses auraient Ă©tĂ© diffĂ©rentes. Et la fin est beaucoup plus tragique dans le roman que ce que nous on en a fait.
Muriel Coulinâ: Notre fin change tout du sens de lâhistoire. Nous, on pense fondamentalement quâune rĂ©conciliation est possible. Pour nous, il est important que cela se termine par une note dâespoir. Pour le dĂ©but, quand on a toute une partie incarnĂ©e par des enfants qui sont ensuite transformĂ©s en adultes par des comĂ©diens, ça me gĂȘne toujours. On adore nos trois acteurs et on avait envie de passer tout le film avec eux (rire).
Est-ce que votre passĂ© de documentaristes vous a amenĂ©es Ă faire beaucoup de recherches pour le filmâ?
Delphineâ: Oui, on a fait beaucoup de recherches. On a regardĂ© beaucoup de documentaires avec des infiltrĂ©s. Le problĂšme quâon a eu, câest que, dans les milieux dâextrĂȘme droite, câest trĂšs masculin, donc on se faisait repĂ©rer assez rapidement (rire).
Murielâ: On ne sâattendait pas Ă ce point-lĂ (rire).
Aviez-vous Vincent Lindon en tĂȘte Ă lâĂ©critureâ?
Delphineâ: DĂšs la lecture du livre, mĂȘmeâ! Nous y avons pensĂ© lâune et lâautre sans mĂȘme nous concerter. Nous lâavons rencontrĂ© avant lâĂ©criture du scĂ©nario. Nous lui avons parlĂ© de lâhistoire et il a acceptĂ©. CâĂ©tait un peu un rĂŽle sur mesure, car on Ă©crivait en pensant Ă lui avec les films que lâon connaĂźt, mais en mĂȘme temps, on cherchait Ă le dĂ©placer en le montrant souriant, ce quâil nâest pas souvent au cinĂ©ma (rire). On a fait aussi de lui un pĂšre un peu fragile et sensible. Dans ses films, Vincent a souvent rĂ©ponse Ă tout. On voulait quâil soit moins fort que ça, quâil doute un peu plus et soit dĂ©semparĂ©.
«âSi on se mettait plus souvent Ă la place de lâautre, les idĂ©es de lâextrĂȘme droite ne gagneraient pas.â»
– Delphine Coulin
Quâest-ce qui vous a guidĂ©es dans le choix des acteurs pour les deux frĂšres incarnĂ©s par Benjamin Voisin et Stefan Creponâ?
Murielâ: On cherchait dâabord de vrais frĂšres, dont certains Ă©taient trĂšs bien dâailleurs. Nous sommes sĆurs et ça paraĂźt trĂšs vite (rire)â!
Delphineâ: On se parle dessus (rire)â! On a des gestes qui se ressemblent. On se disait quâil y a des choses quâon ne pourrait pas inventer ou alors, si on les inventait, elles prendraient beaucoup de temps. Au cinĂ©ma, toute la prĂ©paration va Ă une vitesse folle. Donc, si on avait dĂ©jĂ ce terreau dâemblĂ©e, ça serait bien.
Murielâ: Et on a su que Benjamin et Stefan Ă©taient meilleurs amis et colocataires depuis des annĂ©es. Quand ils sont arrivĂ©s, câĂ©tait vraiment ça. La complicitĂ© Ă©tait lĂ . On aurait dit deux frĂšres.
Comment travaillez-vous ensemble sur un plateauâ?
Delphineâ: Toutes les deux, on est responsables de tout et on travaille beaucoup en amont. Notre mise en scĂšne prĂ©cĂšde tout le reste. On prĂ©voit notre mise en scĂšne quâon a dĂ©finie toutes les deux et aprĂšs, on va chercher les dĂ©cors et les acteurs. Je dirais que Muriel est plus souvent Ă la camĂ©ra et moi avec les acteurs, mais ça peut changer. Ăa ne nous pose pas problĂšme.
Comment dirigez-vous vos comĂ©diensâ?
Murielâ: Nous sommes trĂšs prĂ©cises dans le texte, surtout sur un sujet comme ça. On ne peut pas se permettre de lâapproximation. Il y a quand mĂȘme beaucoup de choses politiques en termes de dialogues. Delphine est aussi Ă©crivaine, donc on aime bien que les mots soient justes et prĂ©cis. AprĂšs, nous sommes Ă lâĂ©coute des acteurs. Si un dialogue ne sonne pas bien dans leur bouche, on en discute avec eux.
Quelle sĂ©quence a reprĂ©sentĂ© le plus grand dĂ©fi sur le plan de la productionâ?
Murielâ: Celle du football. Il y avait 27â000 spectateurs lors dâun vrai match et çâa dĂ©bordĂ© alors que certains sont allĂ©s sur le terrain. Personne ne prĂ©voyait çaâ! On arrive aussi avec Vincent Lindon que tout le monde connaĂźt (rire).
Delphineâ: Ce qui Ă©tait trĂšs drĂŽle, câest quâĂ un moment, ils doivent jouer le but. Mais on ne savait pas quand il allait arriver. On se disait mĂȘme que nous allions en faire un faux. Il y a donc ces 27â000 spectateurs et nos 3 comĂ©diens avec une trentaine de figurants et on leur ditâ: «âĂ trois, il y aura un but.â» Ils se mettent Ă crier et tout le monde prĂšs dâeux les regarde en se demandant ce qui se passe (rire). Il y avait tellement de bruit quâil fallait hurler pour leur donner nos directives.
Votre film est trĂšs dâactualitĂ© avec les sociĂ©tĂ©s occidentales de plus en plus divisĂ©es. Souhaitez-vous que votre film agisse comme un appel au dialogue entre les gĂ©nĂ©rationsâ?
Delphineâ: Il faut se rĂ©veiller avant quâil ne soit trop tard et il faut se parler. Tant que le dialogue existe, il ne peut pas se passer de drame. Tant quâon continue Ă parler, câest impossible que le lien parent-enfant se rompre. Quand on nâa plus rien Ă se dire, câest lĂ que ça devient vraiment compliquĂ© et dangereux. Il ne faut pas laisser le silence sâinstaller. Mais câest dans la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre aussi. Si on se mettait plus souvent Ă la place de lâautre, les idĂ©es de lâextrĂȘme droite ne gagneraient pas. |
Le drame Jouer avec le feu est prĂ©sentement Ă lâaffiche.
