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Cinéma – Mode d’emploi : Roxane Néron, coordonatrice d’intimité

Crédit photo : Marc-Étienne Mongrain

Un nouveau métier est apparu dans les dernières années sur les plateaux de tournage : le coordonnateur ou la coordonnatrice d’intimité. En quelque sorte, c’est la personne-ressource qui protégera les acteurs et actrices lors de scènes intimes, que ce soit un baiser langoureux ou une simulation d’acte sexuel. Aux États-Unis, le métier existe depuis longtemps au théâtre, mais il est apparu sur les plateaux de cinéma et de télévision à la suite du scandale Weinstein en 2017 et du mouvement #MeToo. À Hollywood, c’est HBO qui a adopté en premier une politique pour l’usage de coordonnateurs d’intimité pour tous ses films et ses séries télé, en 2018. Peu de temps après, les autres sociétés de production ont suivi.

Pionnière au Québec et détentrice d’un baccalauréat en sexologie, en plus d’avoir travaillé douze ans comme assistante-réalisatrice, Roxane Néron travaille depuis maintenant quatre ans comme coordonnatrice d’intimité pour INTImédia. Sa compagnie s’occupe d’offrir un environnement éthique et bienveillant pour le tournage de scènes de nudité ou d’intimité. « Quand j’ai commencé, il n’y avait personne au Québec qui faisait ça sur les plateaux, mais il y en avait au Canada anglais. Avec l’UDA et l’AQPM, on est en train de regarder pour réglementer la profession, mais il n’y a pas de cours reconnu en ce moment. C’est beaucoup au privé, et n’importe qui en ce moment peut dire qu’il est coordonnateur d’intimité. On est encore en train de baliser le métier. »

Le métier est en ce moment très féminin. Au Québec, il n’y a que des femmes et une personne non binaire qui exercent la profession. Sur un plateau, c’est la coordonnatrice qui fera le lien entre les limites des acteurs et les besoins de la production. « C’est beaucoup de préproduction », explique celle qui a notamment travaillé sur les plateaux de Noémie dit oui, Cœur de slush et Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles. « Il faut décortiquer les scènes intimes des scènes de nudité et les rapprochements. On doit faire beaucoup de rencontres avec les acteurs et actrices, le département CCM (costume, coiffure et maquillage) et le réalisateur. Il faut relier tous les fils pour s’assurer que tout le monde est sur la même page. Parfois, la production va se rendre compte qu’elle n’a pas besoin d’un coordonnateur sur le plateau, mais si notre présence est requise, on s’assure que tout le monde a les accessoires prévus, qu’on a les peignoirs, etc. On doit aussi voir si le plan fonctionne avec l’éclairage et le temps que nous avons. On y va beaucoup selon les demandes des acteurs et actrices et on s’assure que tout le monde a compris les actions. »

Sur un plateau, c’est la coordonnatrice qui fera le lien entre les limites des acteurs et les besoins de la production.

Pour éviter les mauvaises expériences, l’Union des artistes a depuis peu modifié ses règlements pour mieux encadrer les scènes d’intimité et de nudité. Par exemple, une annexe nudité doit être soumise à l’artiste au moins 48 heures avant la signature du contrat et elle doit décrire spécifiquement ce qui sera exigé de l’artiste lors de la scène de nudité, allant même de la place de la caméra au type d’éclairage. Un artiste peut aussi décider de ne pas exécuter une scène, et la production devra alors utiliser les services d’une doublure pour tourner la scène. « On ne sait pas encore quand c’est obligatoire d’avoir un service de coordonnateur d’intimité ni les tarifs. On en est à étudier tout ça ! » ajoute Roxane Néron. « On doit aussi s’assurer que le plateau est fermé et, surtout, qu’il n’y a aucun commentaire déplacé ! J’entends parfois des commentaires qui n’ont pas leur place, sur le costume ou le physique de l’acteur. C’est important de respecter tout le monde. »

Est-ce que les réalisateurs et les acteurs voient le rôle du coordonnateur d’intimité différemment ? Des remarques, Roxane Néron en a entendu plusieurs, mais au final, tout le monde voit ça comme une protection. « Je suis là pour que tout le monde puisse bien faire sa job ! Les acteurs doivent bien jouer, la personne à la réalisation doit avoir la scène qu’elle avait en tête. Le réalisateur ou la réalisatrice sait que si les acteurs se sentent à l’aise, ils donneront le résultat voulu. Le rôle a évolué depuis mes débuts, j’ai un accueil beaucoup plus positif qu’avant et le métier s’est vraiment plus démocratisé. On ne me voit plus comme une police, mais comme une personne qui est là pour aider ! »

Aux États-Unis, ce n’est pas tout le monde qui était d’accord au début pour accueillir les coordonnateurs d’intimité. L’acteur Sean Bean a critiqué la pratique lors d’une entrevue dans le magazine Variety, trouvant l’approche trop technique. Pour le film Anora, Mikey Madison a refusé d’avoir un coordonnateur d’intimité sur le plateau, par choix. D’autres acteurs, au contraire, aiment travailler avec les coordonnateurs d’intimité, comme Emma Thompson, qui se sent en sécurité et plus confortable sur un plateau grâce à leur présence, ou Kate Winslet, qui a déclaré qu’elle aurait aimé les avoir sur les plateaux lorsqu’elle était plus jeune. Au Québec, les avis sont aussi partagés, selon Roxane Néron : « J’ai eu souvent des réactions négatives par rapport à mon rôle. Souvent, on disait que j’allais prendre beaucoup de temps sur le plateau. Il y a des acteurs qui n’ont pas besoin de moi non plus. Pour la production, c’est aussi des coûts de plus… Mais c’est correct, c’est ça le changement ! »

Quand on pense intimité, on peut aussi penser aux films érotiques. Du côté de Roxane Néron, c’est une expérience qu’elle aimerait renouveler : « J’ai fait un film pornographique pour Erika Lust, qui avait choisi le Québec pour un de ses films. Dans ses exigences, il y a une coordonnatrice d’intimité. Ç’a été une expérience vraiment enrichissante ! L’approche est différente. Mon rôle était, entre autres, de m’assurer qu’ils avaient le bon lubrifiant ou le bon médicament pour les érections. Je pouvais rassurer les acteurs aussi qui devaient performer une scène avec une personne du sexe opposé à leur orientation. Au Québec, les productions ne sont pas du tout ouvertes à ça, malheureusement, mais il y a assurément quelque chose à faire du côté des films pour adultes. » |