Image tirée du film Frankenweenie (2012)
Quâont en commun les films Pee-weeâs Big Adventure (La Grande aventure de Pee-wee), Batman (1989-1992), Edward Scissorhands (Edward aux mains dâargent), Mars Attacksâ! (Mars attaqueâ!), Planet of the Apes (La PlanĂšte des singes, 2001), Charlie and the Chocolate Factory (Charlie et la chocolaterie), Corpse Bride (La MariĂ©e cadavĂ©rique), Alice in Wonderland (Alice au pays des merveilles, 2010), Frankenweenie (2012), Dumbo, ainsi que la trilogie Fifty ShadesâŠâ?
Si vous avez rĂ©pondu quâil sâagit de films destinĂ©s Ă ĂȘtre vus en famille, vous nâavez peut-ĂȘtre pas bien lu les derniers titres, rĂ©servĂ©s Ă un public plus averti. MĂȘme chose si vous pensez Ă Tim Burton. Vous brĂ»lez pourtant, puisque le rĂ©alisateur des 10 premiers titres en est Ă sa 17e collaboration avec Danny Elfman, Ă qui lâon doit non seulement la trame musicale de tous les films prĂ©citĂ©s, mais Ă©galement celles de Beetlejuice (BĂ©telgeuse) et de sa suite tant attendue.
Bien que la recette dâun blockbuster ne se limite pas aux qualitĂ©s de sa musique, celle-ci en est un ingrĂ©dient incontournable. Certains thĂšmes musicaux rĂ©ussissent carrĂ©ment lâexploit de devenir indissociables du hĂ©ros dâune franchise, marquant au passage des gĂ©nĂ©rations de cinĂ©philes. Ce fut le cas de celui composĂ© pour le film Batman, version 1989. Cette Ćuvre dâElfman, sombre et grandiose, a carrĂ©ment redĂ©fini lâidentitĂ© sonore du Chevalier Noir. Le charme gothique et mĂ©lancolique de la musique dâEdward Scissorhands rĂ©sonne lui aussi dans nos mĂ©moires, une crĂ©ation dont lâartiste nâa pas hĂ©sitĂ© Ă dire quâil sâagissait de lâune de ses plus personnelles. Enfin, lâheureuse appropriation de la chanson thĂšme du jouissif Beetlejuice de 1988, interprĂ©tĂ©e par le regrettĂ© Harry Belafonte, nâĂ©tait pas piquĂ©e des vers non plus.
On dit de la musique de Danny Elfman quâelle se distingue de toutes les autres par sa sonoritĂ© particuliĂšre. On la qualifie de surprenante, excentrique, envoĂ»tante, magique, des termes qui pourraient tout aussi bien dĂ©crire la personnalitĂ© de son crĂ©ateur. NĂ© aux Ătats-Unis, le musicien Ă la chevelure de feu a grandi dans la municipalitĂ© de Baldwin Hills, dans la banlieue sud de Los Angeles. Fils dâun enseignant de la United States Air Force et dâune mĂšre romanciĂšre, il est le frĂšre cadet de Richard Elfman, fondateur du groupe de musique rock Oingo Boingo, qui fut tout dâabord une troupe de thĂ©Ăątre de rue. Danny en a Ă©tĂ© le guitariste, puis le leader, au dĂ©part de son aĂźnĂ©. Connu pour sa musique expĂ©rimentale, le groupe polymorphe mĂ©langeait librement la new wave et le ska, les musiques du monde et le hard rock. Ils connaĂźtront un certain succĂšs avant de donner leur concert dâadieu en 1995. Cette expĂ©rience, ajoutĂ©e Ă un sĂ©jour dâun an au sein dâune compagnie thĂ©Ăątrale française appelĂ©e Le Grand Magic Circus, a trĂšs certainement façonnĂ© lâapproche unique de ce compositeur autodidacte qui nâa jamais cessĂ© dâexplorer et de mĂ©langer une multitude de genres musicaux, avec une prĂ©fĂ©rence marquĂ©e pour la fantaisie.
Dans les annĂ©es 1980, il met son talent au service de sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es, concevant notamment le cĂ©lĂ©brissime thĂšme musical des Simpson. Câest en 1982 quâil crĂ©e sa premiĂšre musique de film. RĂ©alisĂ© par son frĂšre, le film Forbidden Zone reçoit un accueil mitigĂ©. Les critiques saluent cependant le cĂŽtĂ© crĂ©atif et amusant de sa dynamique trame musicale, qui mĂ©lange des numĂ©ros de jazz des annĂ©es 1920 et des chansons originales.
Les dĂ©buts de lâassociation Burton-Elfman datent de 1985, avec le film Pee-weeâs Big Adventure, premier film de Tim Burton. Câest lâacteur Paul Rubens, interprĂšte du personnage de Pee-wee, qui prĂ©sente le musicien au rĂ©alisateur. Cette espĂšce dâovni cinĂ©matographique, que les critiques qualifient de charmant et de surprenant, connaĂźt immĂ©diatement le succĂšs, mais câest la comĂ©die dĂ©jantĂ©e Beetlejuice qui rĂ©vĂ©la la perfection de ce duo de crĂ©ateurs Ă©pris de libertĂ© et de nouveautĂ©.
Pour parler du plaisir quâil a eu Ă faire ses premiers films avec Tim Burton, avec qui il entretient une amitiĂ© vieille de 40 ans, Elfman confiait lâannĂ©e derniĂšre au magazine GQâ: «âNous Ă©tions comme deux enfants en libertĂ© dans une classe de maternelle dĂ©sertĂ©e par lâenseignant, expĂ©rimentant sans super- vision.â» Il ajoute quâalors quâil travaillait Ă la musique du premier Beetlejuice, il a averti Burtonâ: «âSi tu trouves que je vais trop loin, il faut me le direâ!â» Mais le rĂ©alisateur, rĂ©putĂ© pour son excentricitĂ©, ne lui en a jamais fait la remarque, «âet câest une des raisons pour lesquelles jâadore travailler avec luiâ», confie Elfman.
On ne peut quâĂȘtre impressionnĂ© par lâhabiletĂ© avec laquelle le compositeur rĂ©ussit Ă transposer en musique les images de son rĂ©alisateur fĂ©tiche, mĂȘlant avec brio la folie douce, lâhumour noir et une extravagante Ă©nergie. Faut-il sâĂ©tonner que la plupart des films nĂ©s de cette union soient devenus des classiques instantanĂ©sâ?
La capacitĂ© dâun crĂ©ateur de musique de film Ă comprendre et Ă amplifier le ton de lâĆuvre est primordiale. Il est le maestro qui donne vie aux Ă©motions, aux atmosphĂšres et aux thĂšmes sous-jacents dâun film. Dans le cas prĂ©sent, on peut parler dâun don remarquable, en particulier lorsquâon accorde au compositeur une certaine libertĂ© artistique et que lâalchimie crĂ©ative avec le rĂ©alisateur est au rendez-vous. Parce que le succĂšs de Danny Elfman ne se limite pas Ă sa collaboration avec Burton. Il a prĂȘtĂ© son talent Ă dâautres rĂ©alisateurs prestigieux, dont Sam Raimi (Spider-Man, Doctor Strange in the Multiverse of Madness ou Docteur Strange dans le multivers de la folie), Brian de Palma (Missionâ: Impossible) et Gus Van Sant (To Die For ou PrĂȘte Ă tout, Good Will Hunting ou Le Destin de Will Hunting, Milk), montrant une polyvalence Ă©tonnante, tout en maintenant un standard dâexcellence Ă©levĂ©, des critĂšres importants lorsque lâon aspire Ă un mĂ©gasuccĂšs au box-office.
Elfman a aujourdâhui rejoint les rangs des titans de lâindustrie cinĂ©matographique et son succĂšs est dâautant plus remarquable que les musiciens issus du monde du rock ayant rĂ©ussi Ă se tailler une place aussi enviable se comptent sur les doigts de la main. Chacune de ses compositions est une invitation Ă un extraordinaire voyage musical. Au-delĂ de son travail pour le grand et le petit Ă©cran, il continue dâexplorer de nouvelles avenues artistiques et sa curiositĂ© reste insatiable, dit-on. Parions que le dĂ©tenteur dâun Grammy, dâun Emmy et de six Saturn Awards ainsi que de nombreux autres prix et nominations (dont trois aux Golden Globes et deux aux Oscars) nous rĂ©serve encore bien des surprises. |