Crédit photo : Marc Couture
Originaire de QuĂ©bec, Daniel VĂ©zina Ćuvre en cuisine depuis plus de 30 ans oĂč il a su se tailler une place de choix dans le secteur de la restauration au QuĂ©bec. Il est copropriĂ©taire des restaurants Laurie RaphaĂ«l de la Vieille Capitale depuis 25 ans et de celui de MontrĂ©al depuis 8 ans. Depuis 1996, il multiplie les projets tĂ©lĂ©visuels, dont la coanimation de lâĂ©mission Les Chefsâ!, de 2010 Ă 2021. Il est aussi lâauteur de plusieurs livres sur la cuisine.
Est-ce que le cinĂ©ma occupe une place importante dans votre vieâ?
Oui, jâaime Ă©couter des films au cinĂ©ma. De voir un film sur grand Ă©cran, ce nâest pas la mĂȘme expĂ©rience que de le regarder sur une tĂ©lĂ©vision Ă la maison. Ăa nâa pas le mĂȘme impact. Avec la famille, on emmenait souvent les enfants au cinĂ©ma quand ils Ă©taient plus petits. Je dois dire que parfois, jâaime mieux Ă©couter un film que dâaller mâentraĂźner au gym (rire). Je pratique un mĂ©tier pour lequel je travaille beaucoup et le cinĂ©ma est lâune des façons qui me permettent de dĂ©crocher, de me changer les idĂ©es. Quand jâĂ©coute un film, ça mâempĂȘche de cuisiner ou de parler de bouffe. Ăa fait du bien parfois (rire)â!
Quel est votre film prĂ©fĂ©rĂ© qui porte sur la cuisineâ?
Je dirais Le Festin de Babette. Jâadore lâhistoire de cette cuisiniĂšre de France qui part du cĂŽtĂ© du Danemark pour fuir la guerre. Elle dĂ©barque dans un petit village oĂč elle devient servante pour une famille. Puis, elle gagne un montant dâargent assez imposant pour lâĂ©poque et elle dĂ©cide de prendre cette somme pour faire un repas. DĂ©jĂ , ça me parle (rire)â! Câest extraordinaire et je me disâ: je veux la connaĂźtre, cette femme-lĂ (rire). Ăa pourrait ĂȘtre moi, ça, ou mĂȘme mes amis-chefs. Câest le genre de chose que lâon pourrait faire (rire). On sâĂ©claterait sur un super-repasâ! Dans le film, toute la gestuelle cuisine est assez parfaite, mais ce qui mâimpressionne le plus, câest lâapprovisionnement. Tu la vois arriver avec tous les animaux vivantsâ: les tortues et les cailles. LâapothĂ©ose du film, câest Ă©videmment le repas Ă la fin oĂč lâon voit plein de personnages de classes sociales diffĂ©rentes mettre la nourriture dans leur bouche et tu vois leurs Ă©motions. Quand ils goĂ»tent au vin, tu vois leurs yeux changer (rire). Pendant tout ce temps, Babette travaille dans la cuisine. Elle nâest pas avec eux. Tout ça mâavait beaucoup interpellĂ©, de voir comment les gens se sentent aprĂšs le repas. Ils sont dehors par une soirĂ©e dâhiver et ils regardent les Ă©toiles. Câest ça que câest censĂ© faire quand on mange quelque chose dâextraordinaire (rire)â! Ce film gardera toujours une place importante dans mon cĆur. Mais, il y en a deux autres que je ne me tanne jamais aussi de regarderâ: Chocolat et Tampopo.
Quâest-ce que vous apprĂ©ciez du film Chocolatâ?
Je suis un amateur de chocolat (rire)â! Il y a aussi toute notre culpabilitĂ© par rapport Ă la nourriture. On sent bien que le personnage de Juliette Binoche veut ĂȘtre Ă©cartĂ© parce que manger du chocolat, câest comme commettre un pĂ©chĂ©. Finalement, tout le monde finit par succomber. MĂȘme ceux qui veulent interdire le chocolat vont finir par en manger (rire). Jâaime que lâon voie des personnages qui nâont plus de sexualitĂ© recommencer Ă baiser, dâautres tomber en amour. DĂšs que quelquâun goĂ»te Ă ce quâelle a fait, ça change sa vie. Tu vois aussi toute la voluptĂ© du chocolat. Il ne faut pas oublier quâĂ une certaine Ă©poque, la gourmandise Ă©tait un pĂ©chĂ© capital. Jâai trouvĂ© que tout cet aspect Ă©tait bien amenĂ© et jouĂ©. En plus, Juliette Binoche est juste magnifique (rire). Jâaime beaucoup toutes les scĂšnes de bouffe, particuliĂšrement celle oĂč elle parle de son chocolat chaud avec le piment. Dâailleurs, câest quelque chose que jâai commencĂ© Ă faire aprĂšs avoir vu le film (rire).
Et pourquoi le choix de Tampopoâ?
Câest une ode aux ramens (rire). Câest une comĂ©die, un genre de western japonais, qui se passe Ă Tokyo. Câest quand mĂȘme un peu weird comme film (rire). Câest lâhistoire dâune veuve qui a perdu son mari et qui se lance dans la bouffe pour se dĂ©charger de la peine. Elle veut apprendre Ă faire les meilleurs ramens du Japon. Elle va Ă©tudier auprĂšs des meilleurs chefs qui vont lui montrer tout lâaspect cĂ©rĂ©monial entourant les ramensâ: comment les fabriquer, comment prĂ©parer les bouillons et mĂȘme comment les manger. LĂ -bas, câest vraiment sĂ©rieux (rire)â! Câest la beautĂ© des gestes, la prĂ©cision des Japonais. Tout a un sens, une raison dâĂȘtre. Le film mâa vraiment appris comment faire un bon ramen (rire).
Quel film de cuisine considĂšres-tu comme un plaisir coupableâ?
LâAile ou la cuisse (1976) avec Louis de FunĂšs et Coluche. En plus, câest un des premiers films que jâai vus au cinĂ©ma. Ce film est encore aussi drĂŽle. Il y a aussi Le Grand restaurant (1966) que jâaime bien. Jâadore de FunĂšsâ! Jâaime le feeling dâĂȘtre dans les cuisines. Dâailleurs, câest quelque chose qui mâa toujours fascinĂ© et qui mâintrigue dans le cinĂ©ma gourmandâ: qui est derriĂšre les plats que lâon voit Ă lâĂ©cranâ? Ce sont des chefs professionnels qui montent non seulement les plats, mais qui montrent aussi la technique de cuisine aux acteurs. Ce cĂŽtĂ© mâintĂ©resse Ă©normĂ©ment.
Quel acteur ou quelle actrice vous a le plus impressionnĂ© en chef Ă lâĂ©cranâ?
Catherine Zeta-Jones dans No Reservations (Table pour trois, 2007). Tu vois comment elle travaille bien, avec précision et finesse.
Quel personnage engageriez-vous dans votre brigadeâ?
Il ne vient pas dâun film, mais plus dâune sĂ©rieâ: celui du chef dans The Bear. Il se comporte vraiment comme un chef trois macarons, mais en plus, avec une intelligence Ă©motionnelle. Il a le respect du travail bien fait et aussi de ses employĂ©s. Il a le sens de la discipline. Câest un bon chef comme on les veut (rire). Je lâengagerais demain matin pour mon restaurant Laurie RaphaĂ«l (rire)â! MĂȘme aussi sa sous-cheffeâ!
Quel film vous a sĂ©duit par la prĂ©sentation de ses platsâ?
The Menu (Le Menu). Quand tu vois les plats, câest de la haute voltige. Tu sais que ça provient de chefs Ă©toilĂ©s Michelin. Câest la gomme de la gomme (rire)â!
Est-ce quâun film vous a dĂ©jĂ influencĂ© dans la crĂ©ation dâune recetteâ?
Celle de la caille en sarcophage tirĂ©e du Festin de Babette. Je lâai mĂȘme faite Ă lâĂ©mission Les Chefsâ! oĂč elle Ă©tait le thĂšme dâun Ă©pisode. Câest une recette complĂštement hallucinante oĂč le personnage de Babette flambe sa caille au cognac en enlevant le dessus du rond et elle penche sa casserole de cuivre au-dessus des flammes du four Ă bois. Il y a quelque chose dans ce geste qui mâa profondĂ©ment sĂ©duit.
Est-ce que crĂ©er des plats pour un film est quelque chose qui pourrait vous intĂ©resserâ?
Jâadorerais çaâ! Avec toutes les Ă©missions de tĂ©lĂ© que jâai faites et les livres que jâai Ă©crits, jâai travaillĂ© et appris beaucoup des stylistes. PrĂ©senter la bouffe dans les films, câest comme faire de la photo. Câest drĂŽle parce que jâai croisĂ© lâacteur Roy Dupuis Ă une soirĂ©e rĂ©cemment et je lui ai ditâ: «âCâest pas mal un des rĂŽles que tu nâas pas fait ça, cuisinier. Si un jour on te propose ce genre de rĂŽle, je suis ton homme pour te coacher (rire)â!â» |