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Entrevue avec David Lambert

Crédit photo : Unifrance

Entrevue avec le réalisateur et scénariste David Lambert pour la sortie du film Les Tortues

David Lambert est un rĂ©alisateur et scĂ©nariste belge. En 2012, il signe son premier long mĂ©trage, le drame Hors les murs. Son deuxiĂšme film, Je suis Ă  toi, se distingue en remportant deux prix au Festival du film francophone d’AngoulĂȘme en 2015. AprĂšs la comĂ©die dramatique TroisiĂšmes noces (2018), David Lambert Ă©crit et rĂ©alise son quatriĂšme long mĂ©trage, Les Tortues, un drame poignant Ă  propos d’un vieux couple qui s’entre-dĂ©chire.

Quel a Ă©tĂ© le point de dĂ©part pour votre histoire, soit de raconter une relation qui se dĂ©tĂ©riore ou celle d’un couple gai Ăągé ?

Ma premiĂšre envie Ă©tait de travailler sur la notion d’un vieux couple. Et je me suis dit qu’on avait rarement vu un vieux couple homosexuel. C’est une gĂ©nĂ©ration d’hommes qui a Ă©tĂ© privĂ©e de la perspective d’un futur et du mariage pendant un certain temps. Je trouvais intĂ©ressant d’explorer cette notion de vieux couple avec des personnages qui ont ces couches d’histoires derriĂšre eux, qui ont traversĂ© des moments oĂč l’homosexualitĂ© Ă©tait illĂ©gale, voire psychiatrisĂ©e. Il y a aussi l’influence du film Le Chat (1968) de Pierre Granier-Deferre avec Jean Gabin et Simone Signoret, oĂč les deux personnages vivent une relation trĂšs dure et se dĂ©testent. Mon film met en scĂšne quand mĂȘme plus de moments tendres. Et mĂȘme quand les personnages se dĂ©chirent, ils accĂšdent Ă  une certaine tendresse ou du moins Ă  une bienveillance.

Qu’est-ce qui vous intĂ©ressait dans cette thĂ©matique ?

C’est trĂšs difficile d’ĂȘtre deux. J’aime beaucoup la dualitĂ©. J’aime Ă©tudier comment faire un couple, soit en amitiĂ© ou en amour. C’est ce que j’explore dans tous mes films.

Est-ce vrai que pour vos personnages, vous vous ĂȘtes inspirĂ© de la dynamique de ceux qu’interprĂ©taient souvent Ă  l’écran Spencer Tracy et Katharine Hepburn ?

Oui, tout Ă  fait. Ce sont des films que j’aime beaucoup, qui sont merveilleusement bien Ă©crits. À l’intĂ©rieur de cette intrigue classique, j’ai mis des personnages qui le sont beaucoup moins (rire). Et je trouve que c’est parfois trĂšs incorrect ce qu’ils arrivent Ă  se dire entre eux, mĂȘme si c’est avec humour. J’aime bien les dialogues un peu missiles comme ça (rire).

Sans ce que soit aussi extrĂȘme, le film Ă©voque aussi par moment The War of the Roses (La Guerre des Rose, 1989). Était-ce une influence voulue ?

Évidemment, ce film fait partie des grands classiques de films de couples qui se divorcent. Je l’avais revu avant de commencer l’écriture du scĂ©nario. Et, pour tout avouer, le personnage de l’avocate jouĂ©e par Sandra Zidani est un petit peu inspirĂ© par celui de Danny DeVito. Je ne l’ai pas engagĂ©e pour cela, mais en la voyant avec son langage corporel, je me suis dit que ça m’arrangeait bien (rire).

Pourquoi ce titre, Les Tortues ?

J’avais des tortues chez moi quand j’étais gamin. Je les ai beaucoup observĂ©es. Je trouvais que mon histoire racontait bien ce cĂŽtĂ© carapace, protection, chacun pour soi dans sa maison. Mes personnages, comme les tortues, passent en quelque sorte le temps. C’était trĂšs instinctif au dĂ©part, mais c’est vrai que les couches de sens liĂ©es aux tortues Ă©taient trĂšs trĂšs belles.

« J’aime beaucoup la dualitĂ©. J’aime Ă©tudier comment faire un couple, soit en amitiĂ© ou en amour. C’est ce que j’explore dans tous mes films. »

Qu’est-ce qui vous a sĂ©duit chez vos acteurs Dave Johns et Olivier Gourmet ?

J’ai longtemps hĂ©sitĂ© et couru aprĂšs pas mal de gens, sans rĂ©sultat. Puis, quand je me suis focalisĂ© sur Dave et Olivier, ç’a Ă©tĂ© trĂšs trĂšs vite. Dave a rĂ©pondu trĂšs rapidement Ă  ma sollicitation. Il a eu un gros coup de foudre pour le scĂ©nario. MĂȘme chose du cĂŽtĂ© d’Olivier. Nous venons de la mĂȘme rĂ©gion dans les Ardennes belges. On partageait trĂšs fort cette pudeur par rapport aux sentiments, ce cĂŽtĂ© ours, introverti. Je me suis pas mal projetĂ© dans son personnage. Pour celui de Dave, je me suis inspirĂ© de gens que je cĂŽtoie. J’avais envie d’avoir deux grands acteurs avec une filmographie consĂ©quente derriĂšre eux.

Dave Johns a-t-il appris le français pour le film ?

Il a tout appris son texte, mais de maniĂšre phonĂ©tique. Il a eu un super coach. Il a bien travaillĂ©, car ce n’était pas Ă©vident. Les deux acteurs restent trĂšs attachĂ©s au projet. Ils me demandent des nouvelles rĂ©guliĂšrement. Du dĂ©but Ă  la fin, le tout a Ă©tĂ© une belle aventure chaleureuse.

Comment dirigez-vous vos comĂ©diens ? Laissez-vous une certaine place Ă  l’improvisation, Ă  l’exploration, ou vous vous en tenez strictement Ă  ce qui est Ă©crit dans le scĂ©nario ?

Il y a les deux. Il y a des scĂšnes qui sont assez prĂ©cises dans ma tĂȘte et que je dĂ©roule comme il se doit. Ceci dit, je reste quand mĂȘme ouvert aux propositions. Mais il y a d’autres scĂšnes oĂč je cherche plus. Peut-ĂȘtre sont-elles moins prĂ©cises Ă  l’écriture ? On fait un peu de brainstorming ensemble et quelques rĂ©pĂ©titions avant que l’équipe arrive. On met les choses en place. J’adore crĂ©er sur le plateau. Ce qui est confortable avec des acteurs comme ça, c’est qu’on sait qu’on aura une libertĂ© au montage grĂące aux nombreuses prises. Ils offrent une excellente matiĂšre premiĂšre qui me permet de faire des microvariations dans le jeu.

Quelle scĂšne reprĂ©sentait pour vous le plus grand dĂ©fi en tant que rĂ©alisateur ?

Les scĂšnes de disputes, de duretĂ©. Ce n’est pas Ă©vident de rester avec les personnages quand ils s’envoient des choses vraiment difficiles l’un et l’autre Ă  la figure. C’est difficile de crĂ©er de l’empathie pour un personnage lorsqu’il va aussi loin, d’arriver de continuer Ă  l’aimer. C’est ça le gros dĂ©fi.

La chanson Hands Up d’Ottawan occupe une place importante dans le film. Était-ce compliquĂ© d’en obtenir les droits ?

Ç’a Ă©tĂ©, mĂȘme si ça a coĂ»tĂ© un peu cher (rire). On l’utilise de deux façons : une version un peu plus burlesque et folle au dĂ©but et une autre plus dramatique quand le personnage de Tom (Dave Johns) se rĂ©approprie sa vie. C’est un film qui a un peu cette trajectoire-lĂ . C’est l’histoire d’un homme qui s’est trop sacrifiĂ©, qui s’est trop oubliĂ© par amour et qui, au bout d’un moment, s’aperçoit quand mĂȘme que c’est en rĂ©apprenant Ă  vivre pour lui que peut-ĂȘtre il arrivera un jour Ă  se remettre avec la personne qu’il considĂšre comme l’amour de sa vie.

On retrouve Ă©galement au gĂ©nĂ©rique une chanson de Pierre Lapointe. Pourquoi ce choix ?

J’aime beaucoup Pierre Lapointe et son travail depuis trĂšs longtemps. Je rĂ©Ă©coutais sa musique au moment de l’écriture du film. Je suis retombĂ© sur cette chanson, La plus belle des maisons, et je la trouvais incroyable. On dirait qu’elle avait Ă©tĂ© Ă©crite pour le film ! Je l’ai fait entendre Ă  mon producteur et il a eu la mĂȘme rĂ©action : c’est incroyable (rire) ! On a contactĂ© Pierre Lapointe et on a pu l’incorporer dans le film. Cette chanson arrive Ă  un moment charniĂšre et elle raconte tellement de choses. Je suis vraiment fier de ce coup (rire). |

Le drame Les Tortues est prĂ©sentement Ă  l’affiche.