Entrevue avec l’actrice Lou Thompson et la rĂ©alisatrice Nathalie Saint-Pierre pour la sortie du film Sur la terre comme au ciel
Nathalie Saint-Pierre est une scĂ©nariste, rĂ©alisatrice, productrice et monteuse nĂ©e Ă MontrĂ©al. Elle a ĆuvrĂ© pendant cinq ans au sein du collectif Les Films de lâAutre oĂč elle a appris la production cinĂ©matographique. Depuis, elle a Ă©crit, rĂ©alisĂ©, montĂ© et produit trois films : Ma voisine danse le ska (2003), prix Radio-Canada du meilleur premier scĂ©nario de long mĂ©trageâ; Catimini (2012), Valois dâor au Festival du cinĂ©ma francophone dâAngoulĂȘmeâ; et Sur la terre comme au ciel (2023), co-scĂ©narisĂ© avec Marika Lhoumeau.
Lou Thompson dĂ©bute sa carriĂšre Ă lâĂ©cran Ă lâĂąge de 13 ans. Au petit Ă©cran, elle fait partie de la distribution rĂ©guliĂšre de la 3e saison de lâĂ©mission Le Pacte, diffusĂ©e Ă TĂ©lĂ©-QuĂ©bec. Avec Sur la terre comme ciel, Lou Thompson dĂ©fend son premier rĂŽle principal dans un long mĂ©trage.
Nathalie, comment es-tu venue Ă travailler sur ce projet, car lâidĂ©e de dĂ©part provient de la scĂ©nariste, comĂ©dienne et metteur en scĂšne Marika Lhoumeau, nonâ?
Nathalie Saint-Pierre : Marika a travaillĂ© pendant quatre ans sur la prĂ©misse du film, inspirĂ© dâun Ă©vĂ©nement qui Ă©tait survenu dans sa famille Ă©largie. Ă ce moment-lĂ , elle Ă©tait Ă lâINIS, lâInstitut national de lâimage et du son, en formation pour ĂȘtre scĂ©nariste. Elle a beaucoup Ă©tĂ© marquĂ©e par cette histoire. En 2015, elle mâa approchĂ©e afin que je produise et que je rĂ©alise le film. On ne se connaissait pas personnellement, mais elle avait vu mon film prĂ©cĂ©dent, Catimini (2012). Elle a pressenti que ça pouvait mâintĂ©resser. Au bout dâun an de travail ensemble, elle a dĂ©cidĂ© de me confier le projet pour lequel jâavais dĂ©veloppĂ© une passion. Je lâai donc pris en charge.
Quâest-ce qui tâinterpellait dans cette histoireâ?
Nathalie : Au tout dĂ©but, câĂ©tait la possibilitĂ© de tourner des «âpremiĂšres foisâ», de filmer un personnage qui est en situation de dĂ©couvertes. Jâaimais lâidĂ©e des contrastes : la communautĂ© avec des rĂšgles, une esthĂ©tique trĂšs particuliĂšre, qui vit dans la nature et lâarrivĂ©e de cette jeune fille-lĂ , Clara (Lou Thompson), dans la ville. CâĂ©tait toutes des questions de rĂ©alisation et de mise en scĂšne qui me stimulaient. Ensuite, je me suis Ă©videmment intĂ©ressĂ©e au sujet comme tel et jâai vu et lu beaucoup de tĂ©moignages sur des survivants de ce genre de communautĂ©, donc des gens qui nâont pas eu le choix dây ĂȘtre, contrairement Ă leurs parents. Jâai vu la force de ce sujet-lĂ , qui porte sur un personnage qui sort de sa chambre dâĂ©cho. Sa vie dans la communautĂ© est simple : tout dĂ©coule de Dieu qui a rĂ©ponse Ă tout. Quand Clara se voit coupĂ©e de ses rĂ©fĂ©rents habituels par des Ă©vĂ©nements, câest lĂ que tout Ă coup, avec cette solitude, il y a possibilitĂ© de se questionner sans se faire tout de suite ramener Ă lâordre. Je me suis vraiment prise de passion pour montrer lâavĂšnement du doute, le questionnement et le choix de tous les possibles que la ville reprĂ©sente. Et avec autant de choix, vient lâangoisse (rire). Le sujet me parlait beaucoup et je trouvais quâil Ă©tait universel.
Quâest-ce que Lou possĂšde pour que tu lui confies le rĂŽle de Clara Gagnonâ?
Nathalie : Lou est arrivĂ©e Ă la fin dâun long processus oĂč jâavais vu le travail de prĂšs de 200 jeunes filles. Jâavais repĂ©rĂ© 14 dâentre elles qui avaient un potentiel, mais je nâavais pas eu de grand coup de cĆur. Câest un rĂŽle trĂšs difficile. Câest un personnage quâon a entraĂźnĂ© Ă ne pas exprimer ses Ă©motions, Ă ne pas dĂ©velopper sa personnalitĂ© et Ă nâavoir aucune singularitĂ©. Il y a donc beaucoup de choses qui doivent passer par le non-dit, par le visage et le corps. Aussi, ce nâest pas un personnage de tous les jours, câest un extra-terrestre. Elle nâest pas une adolescente typique. Je savais quâil y aurait un travail de coaching Ă faire avec la comĂ©dienne qui serait choisie parmi ces 14 candidates. Puis, Lou est arrivĂ©e avec un niveau de prĂ©paration et de comprĂ©hension qui lui ont donnĂ© une profondeur dans le jeu. Elle incarnait le personnage. Pour moi, câĂ©tait clair. La scĂšne dâaudition Ă©tait celle oĂč la jeune fille se dĂ©couvre dans le miroir. Jâessayais de leur montrer, mĂȘme en le mimant, que lâaction nâĂ©tait pas celle dâune jeune fille qui se trouve coquette et belle, mais qui se voit clairement pour la premiĂšre fois. Elle ne sâĂ©tait jamais donnĂ© le droit de se regarder parce que câest un acte de vanitĂ©. Quand Lou lâa fait, je me suis dit : «âOui, câest çaâ! Ăa peut ĂȘtre beau et bouleversant.â» Je savais que jâavais ma Clara (rire).
Lou, pourquoi tenais-tu Ă jouer le rĂŽle de Claraâ?
Lou Thompson : Je nâavais pas encore fait beaucoup dâauditions pour un rĂŽle qui mâintĂ©ressait autant pour le cinĂ©ma. JâĂ©tais juste appelĂ©e par la force que Clara possĂšde malgrĂ© toute son innocence et sa candeur. Je veux lui rendre justice parce que câest une fille, une femme, qui est intelligente. Jâavais envie de redĂ©couvrir Ă travers elle tout ce qui est pour moi dĂ©jĂ acquis.
Est-ce que tu as auditionnĂ© avec Ădith Cochrane, qui interprĂšte ta tante Louise, afin de tester votre chimieâ?
Lou : Jâai rencontrĂ© Ădith pour la premiĂšre fois dans un parc pour faire des lectures du scĂ©nario, mais aussi pour nous connaĂźtre. On nâavait pas testĂ© notre chimie devant la camĂ©ra. Mais Nathalie est tellement bonne en casting. Elle avait ses ingrĂ©dients et elle savait que ça allait faire une bonne recette (rire).
Comment avez-vous travaillĂ© ensemble, Nathalie et toi, la scĂšne dâarrivĂ©e Ă MontrĂ©al dans laquelle tout passe par ton regard et ta gestuelle afin dâexprimer ce choc culturelâ?
Nathalie : Ă partir du moment oĂč Lou a compris le personnage, et aprĂšs avoir lu le scĂ©nario et en avoir discutĂ© ensemble et avec les autres comĂ©diens, elle comprenait dâemblĂ©e ce que Clara vivait.
Lou : Se prĂ©parer pour nâimporte quelle scĂšne, câĂ©tait juste avoir une empathie pour le personnage au moment oĂč il la vit.
Pour toi, Lou, il sâagit dâun premier rĂŽle dâimportance. Sentais-tu une certaine pression au moment du tournageâ?
Lou : Dans un sens, oui. Mais Nathalie avait tellement confiance en moi et je le ressentais et je le voyais. Je savais donc que câĂ©tait pour bien aller, mĂȘme si je me mettais quand mĂȘme un peu de pression. Je me demandais : «âLou, est-ce que tu penses ĂȘtre capable de faire 40 jours de tournage, dâĂȘtre dans toutes les scĂšnesâ?â» Je dirais que câĂ©tait plus Ă ce niveau-lĂ . Mais je savais que ce tournage me passionnerait. Jâai eu du fun tous les joursâ! Je nâai jamais vĂ©cu de stress. Il y a eu une petite journĂ©e oĂč je me suis dit : «âFiouâ! LĂ , je suis fatiguĂ©eâ!â» JâĂ©tais un peu Ă fleur de peau (rire), mais câĂ©tait vraiment normalâŠ
Comment Nathalie dirige-t-elle ses comĂ©diensâ? Laisse-t-elle une certaine place Ă lâimpro ou tout est rĂ©glĂ© au quart de tourâ?
Lou : Nathalie a confiance en ses comĂ©diens. Elle sait quâon va lui offrir ce quâelle veut et elle nous laisse aller. Elle dirige vraiment bien parce quâelle est connectĂ©e sur son film. Câest trĂšs jouissif de tourner pour elle, parce quâon prend notre temps pour faire la scĂšne quâelle recherche. Ăa mâa tellement donnĂ© lâamour du cinĂ©ma, encore plus que celui que jâavais dĂ©jĂ (rire). Elle est vraiment gĂ©niale (rire)â!
Nathalie, quel Ă©tait le dĂ©fi le plus dur Ă relever sur cette productionâ?
Nathalie : Câest un film avec lequel on a eu deux Ă©nergies de production : un tournage avec lâĂ©quipe complĂšte et un autre de sept jours, dont une journĂ©e en hiver, avec mini Ă©quipe, câest-Ă -dire trois personnes, Lou, la directrice photo et moi (rire). Des fois, le preneur de son se joignait Ă nous. Le plus grand dĂ©fi a Ă©tĂ© de prĂ©parer deux films. On a dĂ©butĂ© avec quatre journĂ©es de tournage en juillet pour aller chercher lâĂ©nergie de la ville en Ă©tĂ© parce quâon tournait avec lâĂ©quipe en aoĂ»t. Câest trĂšs casse-gueule de prĂ©parer deux tournages quand on est Ă la fois productrice et rĂ©alisatrice (rire). Jâai dĂ©butĂ© la grosse portion du tournage dĂ©jĂ Ă©puisĂ©e, mais aussi rĂ©confortĂ©e par le fait que je savais la force de Lou. Rencontrer une jeune actrice en audition est une chose, mais aprĂšs ça tourner, comme le mentionne Lou, pendant 42 jours et 10 heures par jour, câest quelque chose. Alors, je suis arrivĂ©e sur le plateau principal avec toute lâĂ©quipe avec la certitude que ça allait trĂšs bien se passer.
OĂč avez-vous tournĂ© les scĂšnes avec la communautĂ© religieuseâ?
Nathalie : Dans la rĂ©gion de VerchĂšres. Une chance quâon a Google Maps, car jâai «âscannĂ©â» la grande rĂ©gion de MontrĂ©al pour avoir un endroit pour suggĂ©rer une communautĂ© qui nâa pas dâĂ©lectricitĂ© et qui est reculĂ©e avec des maisons modestes. Jâai trouvĂ© un endroit qui avait des cabanes Ă sucre. CâĂ©tait parfaitâ!
Lou, comment Ă©tait-ce pour toi de vĂȘtir cet uniformeâ?
Lou : Ce nâĂ©tait pas tant confortable, surtout la chemise. Ă cause de la chaleur, justement Ă VerchĂšres, jâa fait beaucoup de rashs (rire). Jâavais chaud et jâai la peau sensible. Porter ça, câest trĂšs austĂšre. Ăa aidait câest sĂ»r. AprĂšs ça, quand elle commence Ă porter les vĂȘtements de sa tante Louise, câest comme une autre façon de rentrer dans le personnage. Tout dâun coup, elle ne se sent pas pareil. Elle a de lâair sur ses bras. Elle a des bas de nylon quand mĂȘme. On ne lĂąche pas les bas de nylon (rire).
Pour chacune de vous, quelle scĂšne a Ă©tĂ© la plus difficile Ă tournerâ?
Lou : Au niveau du jeu, je dirais la scĂšne quand la mĂšre retrouve Clara. Je savais que câĂ©tait important dans le scĂ©nario et que je devais bien la faire. Sinon, au niveau technique, il y a un plan quâon ne trouvait pas par la mise en scĂšne. CâĂ©tait dans un couloir et ça ne marchait pas. Il y avait un meuble qui nous empĂȘchait de faire ce quâon voulait. Quand je disais que câĂ©tait jouissif avec Nathalie, on a juste pris le temps quâil fallait. Elle est productrice. Elle peut choisir ce quâelle veut faire. On sâest enfermĂ©es dans la chambre en disant Ă lâĂ©quipe : «âTout le monde, attendez-nous. On revient.â» Ădith, Nathalie et moi, nous sommes allĂ©es nous parler dans la chambre du personnage de Louise. On a rĂ©flĂ©chi Ă la motivation du personnage de Clara.
Nathalie : Il y avait une manipulation dâune bouteille en vitre qui sâavĂ©rait trop dangereuse pour les actrices. Ăa ne marchait donc pas. Mais plutĂŽt que de trouver juste une solution technique, Lou a trouvĂ© comment la tourner. Elle disait aussi combien il faisait chaud pour les scĂšnes de la communautĂ©. Je pensais quâon allait ĂȘtre bien lĂ , au grand air avec du vent. Je nâai jamais eu aussi chaud, je pense (rire). Et moi, je nâavais pas ces grands costumes noirs quâelles portaient. Ăâa Ă©tĂ© trĂšs difficile. On Ă©tait en pandĂ©mie et on Ă©tait limitĂ©s dans le nombre de personnes quâon pouvait transporter dans des vĂ©hicules. Jâavais 300 figurants Ă dĂ©placer (rire)â! Un tournage, câest une succession de dĂ©fis. Tu te prĂ©pares du mieux que tu le peux, tu fais face aux circonstances et tu tâadaptes. Quand ça va bien avec les comĂ©diens, le reste suit.
Pour toi, Lou, quelle scĂšne a Ă©tĂ© la plus plaisante Ă faireâ?
Jâai tout aimĂ© de mes jours de tournage et de mes scĂšnes (rire). Ătre dans la peau de Clara me faisait vraiment triper. Mais il y a une scĂšne oĂč Clara prend conscience quâelle doit mettre de lâĂ©nergie Ă aller vers les gens pour leur demander sâils ont vu sa sĆur. Dans cette scĂšne, je vois la force de Clara malgrĂ© quâon se rende compte que les gens ne sont pas si gentils, ou du moins ils sont trĂšs indiffĂ©rents par rapport Ă sa situation. Un bout de cette scĂšne-lĂ , quand Clara est Ă fleur de peau, je savais que ça serait plus Ă©motionnel. Ma sĆur Ă©tait prĂ©sente sur le plateau et je la regardais avant chaque prise. Le fait quâelle soit lĂ et quâelle me regarde jouer, jâai bien aimĂ© ce moment.
Le drame Sur la terre comme au ciel est prĂ©sentement Ă lâaffiche.