PubliĂ© en 1971, le roman The Exorcist de William Peter Blatty trĂŽne au sommet des listes des meilleurs vendeurs. Pourtant, Hollywood ne se prĂ©cipite pas pour en acheter les droits. Dâune part, le sujet au cĆur du rĂ©cit, la possession et lâexorcisme dâune prĂ©adolescente, rend frileux les studios. Ensuite, Blatty exige de non seulement en faire lâadaptation (aprĂšs tout, il est un scĂ©nariste Ă©tabli), il veut Ă©galement en ĂȘtre le producteur. Câest finalement la Warner qui dĂ©cide de se commettre. Pour Blatty, le chemin de croix ne fait que dĂ©buter.
Plusieurs rĂ©alisateurs sont sollicitĂ©s, dont Mike Nichols (The Gradutate, ou Le LaurĂ©at), qui ne croit pas ĂȘtre en mesure de trouver une jeune comĂ©dienne capable dâincarner le rĂŽle de Regan. Stanley Kubrick nâest tout simplement pas intĂ©ressĂ© et John Boorman (Deliverance, ou DĂ©livrance), en plus de dĂ©cliner lâoffre, suggĂšre au studio de ne mĂȘme pas faire le film. Ironiquement, il tournera la suite, mal accueillie, en 1977. La Warner trouve son homme en Mark Rydell, un rĂ©alisateur vĂ©tĂ©ran qui provient de la tĂ©lĂ©vision. Blatty sây oppose, lui prĂ©fĂ©rant William Friedkin, une connaissance, dont il a vu le nouveau film Ă paraĂźtreâ: The French Connection (La FiliĂšre française). ImpressionnĂ© par le rĂ©sultat, Blatty est convaincu que lâapproche quasi documentaire, genre dans lequel a baignĂ© le rĂ©alisateur, conviendrait bien au ton voulu pour sa vision du film. Finalement, le film de Friedkin connaĂźt un immense succĂšs aux guichets en plus de remporter lâOscar du meilleur film en 1972. Il obtient donc le contrat quâil sâempresse dâaccepter, ayant adorĂ© le roman et Ă©tant excitĂ© dâaffronter les Ă©normes dĂ©fis que pose la production.
En effet, la crĂ©dibilitĂ© du film repose sur les Ă©paules de la comĂ©dienne qui incarnera Regan. Il faut que le public puisse croire en sa transformation. La production considĂšre dâabord Pamelyn Ferdin qui, malgrĂ© ses 13 ans, a une feuille de route impressionnante avec plusieurs rĂŽles dans des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es. Mais câest justement ce qui bloque Friedkin, qui aimerait un visage un peu moins connu. Apparemment que Janet Leigh nâaurait pas voulu que sa fille, une certaine Jamie Lee Curtis, auditionne. Finalement, Linda Blair se prĂ©sente avec sa mĂšre de maniĂšre non sollicitĂ©e lors dâune session de casting. IntriguĂ©, Friedkin accepte de la voir et aussitĂŽt, il remarque quelque chose en la jeune mannequin qui avait auparavant participĂ© Ă plusieurs catalogues de J.C. Penny, Macyâs et Sears, en plus dâĂȘtre le visage de la compagnie de jus de raisin Welch Ă la tĂ©lĂ©vision. Friedkin admire sa candeur et sa franchise.
En ce qui concerne les rĂŽles de Chris, la mĂšre de Regan, et du pĂšre Karras, Blatty et Friedkin se butent au studio qui prĂ©fĂšre obtenir des vedettes. Pour Chris, Blatty voudrait bien son amie Shirley MacLaine, mais Friedkin offre plutĂŽt le rĂŽle Ă la comĂ©dienne Carol Burnett, un anticasting sâil en est un! Mais les bonzes de la Warner sây opposent. On choisit alors Ellen Burstyn, connue pour de petits rĂŽles Ă la tĂ©lĂ©, et, malgrĂ© la rĂ©ticence du studio, ce choix est concĂ©dĂ©, faute dâalternative.
Pour le pĂšre Karras, la production a dâabord signĂ© lâacteur Stacy Keach, une figure du thĂ©Ăątre new-yorkais des annĂ©es 1960. Mais William Friedkin reçoit un appel de Jason Miller, un dramaturge et acteur peu connu qui devient une sensation sur Broadway alors que sa piĂšce, That Championship Season, commence Ă connaĂźtre un Ă©norme succĂšs. Elle remportera dâailleurs un Tony Award et un prix Pulitzer. Miller avait rencontrĂ© le rĂ©alisateur aprĂšs une prestation de sa piĂšce et celui-ci avait refilĂ© Ă lâacteur un exemplaire du roman de Blatty. Miller est convaincu quâil est lâhomme pour jouer Karras alors que, comme le personnage, il a Ă©galement Ă©tudiĂ© pour ĂȘtre prĂȘtre et quâil avait finalement abandonnĂ© suite Ă une crise de la foi. Friedkin lui dit que le rĂŽle est dĂ©jĂ donnĂ©, mais le comĂ©dien insiste pour un essai devant la camĂ©ra, ce que le cinĂ©aste consent Ă lui offrir. Et aprĂšs avoir visionnĂ© les rushs dâune scĂšne partagĂ©e avec Ellen Burstyn et une autre oĂč lâacteur mĂšne une messe, Friedkin est convaincu par la force tranquille quâexhibe Miller. Le studio rachĂšte donc le contrat de Keach.
Enfin, pour le rĂŽle du vĂ©nĂ©rable prĂȘtre Lankester Merrin, la Warner dĂ©sire que ce soit Marlon Brando, ce que Blatty et Friedkin rejettent avec empressement, inquiets que lâacteur vienne prendre toute la place mĂ©diatique. Le producteur penche plus pour le vĂ©tĂ©ran Paul Scofield, gagnant dâun Oscar quelques annĂ©es plus tĂŽt pour son interprĂ©tation de Thomas More dans A Man for All Seasons (Un homme pour lâĂ©ternitĂ©). Friedkin se laisse plutĂŽt convaincre par lâacteur fĂ©tiche dâIngmar Bergman, Max von Sydow qui, difficile Ă croire vu lâincroyable boulot fait par lâĂ©quipe de maquillage, nâavait que 43 ans au moment du tournage.
Si la prĂ©production sâest avĂ©rĂ©e ardue, le tournage lâa Ă©tĂ© tout autant, alors que le budget initial de 4,2 millions a presque triplĂ©, se chiffrant Ă 12 millions. MĂ©ticuleux, Friedkin tourne dans des conditions Ă©prouvantes pour son Ă©quipe qui le surnomme mĂȘme «âWacky Willyâ», Willy le fou braque, alors quâil reprend parfois des sĂ©quences dĂ©jĂ filmĂ©es plus tard au cours de la production et, surtout, quâil emploie des tactiques douteuses afin dâobtenir les rĂ©actions nĂ©cessaires de ses comĂ©diens. Sur ce chapitre, Jason Miller fait souvent les frais du cinĂ©aste. Pour la scĂšne du vomi qui rejaillit sur Miller, Friedkin assure Ă lâacteur quâil ne le recevra que sur sa poitrine, comme lors des rĂ©pĂ©titions. Mais pour la prise actuelle, le rĂ©alisateur lui envoie le vomi en pleine figure sans lâavertir. Ă lâĂ©cran, on voit donc la rĂ©elle rĂ©action de dĂ©goĂ»t de lâacteur! Ă un autre moment, le rĂ©alisateur tire tout prĂšs de lâacteur un coup de revolver chargĂ© dâune balle Ă blanc afin de crĂ©er une rĂ©action de stupeur. On dit aussi que Friedkin a giflĂ© le pĂšre William OâMalley, un vrai prĂȘtre et connaissance de Blatty qui incarne le pĂšre Dyer, lors de la scĂšne finale avec le pĂšre Karras mourant. Le geste aurait indignĂ© les membres croyants de lâĂ©quipe technique.
Dans le roman, la partie de lâexorcisme se dĂ©roule dans des tempĂ©ratures froides. Ne reculant devant aucun obstacle, Friedkin fait construire un plateau rĂ©frigĂ©rĂ© Ă -29 degrĂ©s Celsius afin de voir lâhaleine frigorifiĂ©e de ses comĂ©diens. Afin de rendre crĂ©dible la transformation de Regan sous lâeffet du dĂ©mon, plusieurs trucages physiques ont Ă©tĂ© Ă©videmment utilisĂ©s. CâĂ©tait bien avant lâĂšre du numĂ©rique! Pourtant, malgrĂ© tout ce que lâon peut accomplir aujourdâhui, ces scĂšnes demeurent encore trĂšs terrifiantes. La scĂšne de la tĂȘte qui fait une rotation sur elle-mĂȘme nâĂ©tait ni dans le roman ni dans le scĂ©nario. Câest un ajout de Friedkin afin de provoquer une rĂ©action de plus auprĂšs du public aprĂšs la scĂšne du crucifix. Un mannequin a donc Ă©tĂ© fabriquĂ©. Il semblait si rĂ©aliste quâil a mĂȘme rendu mal Ă lâaise Linda Blair! Cette derniĂšre a aussi Ă©tĂ© doublĂ©e en partie par une comĂ©dienne un peu plus vieille, Eileen Dietz, qui a filmĂ© une portion de la scĂšne de la masturbation avec le crucifix. Elle a Ă©galement prĂȘtĂ© ses traits au visage du dĂ©mon Pazuzu que lâon peut apercevoir de maniĂšre quasi subliminale Ă quelques reprises. Enfin, des tests ont Ă©tĂ© effectuĂ©s afin de changer Ă©lectroniquement la voix de Blair, mais les rĂ©sultats nâĂ©taient pas trĂšs concluants. On a donc engagĂ© une actrice plus ĂągĂ©e, Mercedes McCambridge, une fumeuse compulsive Ă la voix rĂąpeuse. Avant de faire une prise, elle grillait une cigarette et buvait un verre de whisky, le tout attachĂ©e Ă une chaise! Le tournage entier de la possession et de lâexorcisme, en ordre chronologique, a nĂ©cessitĂ© un mois de travail.
Ne croyant pas vraiment au potentiel commercial du film, Warner le sort sur une trentaine dâĂ©crans seulement le 26 dĂ©cembre 1973. Pris par surprise par les recettes, le studio rĂ©ussit Ă offrir rapidement le film sur plus de 300 Ă©crans, devenant le film le plus profitable de lâhistoire pour le studio, avec des recettes de 112 millions, incluant le box-office international. Le film devient un vĂ©ritable phĂ©nomĂšne mĂ©diatique alors que les Ă©missions de nouvelles diffusent de multiples reportages sur le film, dont les rĂ©actions du public. Celui-ci semblait pris dâune certaine hystĂ©rie jamais revue depuis, alors que certains spectateurs vomissaient et tombaient sans connaissance. Voir LâExorciste est rapidement devenu une expĂ©rience collective quâon ne devait pas rater, comme le seront Jaws (Les Dents de la mer) et Star Wars (La Guerre des Ă©toiles) un peu plus tard. Il est indĂ©niable que les protestations de lâĂglise ont Ă©galement contribuĂ© Ă lâimmense succĂšs du film.
Cinquante ans plus tard, David Gordon Green tente de relever le mĂȘme pari quâil avait fait avec son Halloween en 2018â: offrir une suite satisfaisante Ă lâĆuvre originale tout en relançant une franchise dormante. Tout comme Jamie Lee Curtis et sa Laurie Strode, Ellen Burstyn, maintenant ĂągĂ©e de 90 ans, reprendra son rĂŽle de Chris MacNeil dans une nouvelle histoire qui partagera un lien avec le premier film. Pour lâinstant, pas de confirmation quant Ă une Ă©ventuelle participation de Linda Blair. |
The Exorcist: Believer (LâExorcisteâ: le croyant) prend lâaffiche le 13 octobre.