CrĂ©dit photoâ: Philippe BossĂ©
NĂ© le 25 juin 1941 Ă QuĂ©bec, Denys Arcand passe une enfance heureuse dans la maison familiale de Deschambault. AprĂšs des cours classiques au CollĂšge Sainte-Marie, il intĂšgre lâUniversitĂ© de MontrĂ©al oĂč il obtient une licence dâhistoire et de littĂ©rature. Câest avec lâauteur-compositeur StĂ©phane Venne quâil fait ses premiers pas au cinĂ©ma. Dâabord en sâassociant avec lui pour mettre en scĂšne Ă lâest dâEaton (1959), un court mĂ©trage aujourdâhui disparu, puis, trois ans plus tard, avec Seul ou avec dâautres, fiction-vĂ©ritĂ© corĂ©alisĂ©e avec Venne et Denis HĂ©roux, dans laquelle la camĂ©ra de Michel Brault illustre les pĂ©ripĂ©ties tragi-comiques dâune jeune femme sâacclimatant Ă sa nouvelle vie estudiantine et citadine. Si ce film â souvent qualifiĂ© de tout premier long mĂ©trage quĂ©bĂ©cois indĂ©pendant â ne laisse pas un souvenir impĂ©rissable, la dĂ©cennie suivante va, en revanche, positionner Arcand dans le paysage culturel, lui qui marquera Ă tout jamais le septiĂšme art dâici.
Comme bon nombre de ses collĂšgues francophones, le rĂ©alisateur du Crime dâOvide Plouffe fait ses classes Ă lâONF, oĂč il entre Ă la fin de ses Ă©tudes. De 1964 Ă 1966, il signe plusieurs courts qui Ă©tablissent son rapport Ă©troit avec sa ville de rĂ©sidence, lâhistoire, la sociĂ©tĂ© et la politique. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, dans On est au coton, son premier long mĂ©trage dirigĂ© en solo, il se penche sur les conditions aliĂ©nantes dans lesquelles se dĂ©battent les travailleurs de lâindustrie textile. JugĂ© trop subversif par lâONF, ce pamphlet de trois heures devra attendre six ans avant dâĂȘtre projetĂ© en salle. Un sort Ă peine plus clĂ©ment sera rĂ©servĂ© Ă QuĂ©becâ: Duplessis et aprĂšsâŠ, autre regard particuliĂšrement acerbe, cette fois sur les dessous des Ă©lections provinciales de 1970.
En parallĂšle Ă ces Ćuvres phares, considĂ©rĂ©es encore aujourdâhui comme des tĂ©moins importants des mutations vĂ©cues par le QuĂ©bec dâalors, Arcand filme La Maudite galette, polar fĂ©roce tournĂ© dans le privĂ©, avec Marcel Sabourin, RenĂ© Caron et Luce Guilbeault. Cette derniĂšre se retrouve deux ans plus tard dans lâinoubliable RĂ©jeanne Padovani, Ă©vocation mordante de la corruption des Ă©lites locales. Avec Gina, Arcand continue de se forger une rĂ©putation de critique impertinent et cynique. Dans ce drame hivernal campĂ© en rĂ©gion â et dont la filiation avec On est au coton est Ă©vidente â, le cinĂ©aste dĂ©peint les destins tragiques, mais criants de vĂ©ritĂ©, de deux femmes opprimĂ©es. La premiĂšre, admirable CĂ©line Lomez, est une strip-teaseuse violĂ©e par une bande de dĂ©sĆuvrĂ©s alcoolisĂ©s, la seconde, magistrale FrĂ©dĂ©rique Collin, est une jeune ouvriĂšre aliĂ©nĂ©e par des cadences de travail infernales, un quotidien sans joie, et un horizon tout ce quâil y a de plus bouchĂ©. Sorti en janvier 1975, Gina obtient un beau succĂšs auprĂšs des journalistes, au contraire des spectateurs qui rejettent cette histoire sombre et violente, sans doute la plus intense que son auteur ait imaginĂ©e. LâĂ©chec commercial est cuisant.
Arcand sâoriente alors vers la publicitĂ© et la tĂ©lĂ©vision avant de revenir au documentaire social (La Lutte des travailleurs dâhĂŽpitaux) et de signer le scĂ©nario de la tĂ©lĂ©sĂ©rie biographique Duplessis (1978), dans laquelle un Jean Lapointe en grande forme tient le rĂŽle de lâancien premier ministre du QuĂ©bec. Puis vient Le Confort et lâindiffĂ©rence en 1981, Ćuvre charniĂšre dans sa filmographie. Une fois encore, lâimpertinence et la noirceur sont au rendez-vous dans ce pamphlet capital tournĂ© dans la foulĂ©e de la perte du rĂ©fĂ©rendum de 1980. Sâappuyant sur les Ă©crits de Machiavel, Arcand constate non sans amertume la disparition quasi certaine de toute notion de projet commun, dans un QuĂ©bec dĂ©sormais vautrĂ© dans lâargent et lâĂ©goĂŻsme. Ce sera le dernier essai purement politique dâArcand, qui dĂ©laissera les rĂȘves collectifs envolĂ©s pour se concentrer sur les espoirs et les quĂȘtes individuelles.
IntitulĂ© Ă lâorigine Conversations scabreuses, Le DĂ©clin de lâempire amĂ©ricain est, selon son auteur, une «ârĂ©flexion sociale personnelle sur la vie de tous les jours et sur la vie amoureuseâ». QuoiquâĂ©troitement liĂ© Ă tout ce quâArcand avait Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment, le film se dĂ©marque par des Ă©lans humoristiques inĂ©dits jusquâalors, parvenant ainsi Ă gagner le cĆur de millions de personnes dans le monde. Ă la grande surprise de tous, les tribulations de ces intellos nantis et imbus dâeux-mĂȘmes rĂ©coltent huit prix GĂ©nie et obtiennent plusieurs rĂ©compenses prestigieuses, dont une sĂ©lection Ă lâOscar du meilleur film Ă©tranger. Sans doute, Le DĂ©clin constitue la toute premiĂšre rĂ©ussite internationale que le cinĂ©ma quĂ©bĂ©cois ait connue. Un coup dâĂ©clat qui sera rĂ©Ă©ditĂ© trois ans plus tard avec JĂ©sus de MontrĂ©al, satire aussi joviale que sombre abordant la quĂȘte de spiritualitĂ© dâune troupe dâacteurs immergĂ©s dans une sociĂ©tĂ© ayant troquĂ© ses rĂȘves pour le matĂ©rialisme.
AprĂšs une pĂ©riode de transition lors de laquelle il rĂ©alise un segment de lâinĂ©gal MontrĂ©al vu parâŠ, Love and Human Remains (De lâamour et des restes humains), le sympathique Joyeux calvaire et le mal-aimĂ© Stardom, Arcand renoue avec le succĂšs en 2003 grĂące Ă ses Invasions barbares, qui est Ă ce jour le seul long mĂ©trage de fiction quĂ©bĂ©cois Ă avoir remportĂ© un Oscar. Suivent deux comĂ©dies chahutĂ©es par la critique et le public (LâĂge des tĂ©nĂšbres et Le RĂšgne de la beautĂ©) puis, en 2018, la comĂ©die Ă suspense La Chute de lâempire amĂ©ricain, Ă©tude plutĂŽt jouissive sur le pouvoir de lâargent. Le 5 octobre, Testament, le 18e long mĂ©trage de Denys Arcand, sort sur les Ă©crans. Nous aurons le plaisir dây retrouver son fidĂšle complice RĂ©my Girard, incarnant un septuagĂ©naire dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements qui finit par reprendre goĂ»t Ă la vie aprĂšs une rencontre fortuite. Observateur avisĂ© du QuĂ©bec depuis plus de six dĂ©cennies, Arcand plongera une fois de plus dans la psychĂ© de ses contemporains et, par le biais des confidences de cet intellectuel dĂ©sabusĂ©, trouvera Ă nâen pas douter le terreau idĂ©al pour nous amuser autant que nous faire rĂ©flĂ©chir. |