Image tirée du film La Montagne (2023)
Entrevue avec le réalisateur et acteur Thomas Salvador pour la sortie du film La Montagne
Ă lâautomne 2015 sortait en salle au QuĂ©bec un charmant petit film fantastique français, Vincent nâa pas dâĂ©cailles, dont la finale avait Ă©tĂ© tournĂ©e dans la province. Son rĂ©alisateur et acteur principal, Thomas Salvador, est de retour avec une deuxiĂšme Ćuvre tout aussi sĂ©ductrice et singuliĂšre, un film intitulĂ© La Montagne qui raconte comment Pierre, un ingĂ©nieur, doit se dĂ©mener pour survivre en haute altitude, dans la neige, en se rĂ©fugiant dans une grotte oĂč il sera tĂ©moin de lâapparition de mystĂ©rieuses lueurs. Et sâil dĂ©cidait de ne plus redescendre de cette montagne⊠Rencontre avec le rĂ©alisateur Thomas Salvador qui partage avec nous sa passion pour un cinĂ©ma silencieux, merveilleux et magique Ă la fois.
Thomas, plusieurs choses marquent lâesprit dans votre film, dont de nombreuses images majestueuses. Vous avez tournĂ© au Mont-Blanc?
Oui, au massif du Mont-Blanc Ă Chamonix. Câest la capitale mondiale de lâalpinisme. La ville est situĂ©e Ă 1 000 mĂštres dâaltitude. On lĂšve les yeux et on voit le sommet du mont avec ses 4 800 mĂštres de hauteur. Câest un lieu trĂšs particulier.
Lâalpinisme pour vous, câĂ©tait un rĂȘve de jeunesse.
Câest exact. Quand jâĂ©tais jeune, je voulais ĂȘtre Ă la fois cinĂ©aste et guide en haute montagne. Jâai fait beaucoup dâalpinisme entre 15 et 23 ans. AprĂšs jâai arrĂȘtĂ©. Une pause qui a durĂ© 30 ans, interrompue justement par le tournage du film oĂč je mây suis remis.
Justement, dans ce tournage, rien nâa dĂ» ĂȘtre facile. Autant pour lâaspect technique, soit de trimballer et dâutiliser lâĂ©quipement Ă travers des sentiers montagneux et enneigĂ©s par temps froid, que pour le cĂŽtĂ© humain, car on doit sâacclimater Ă cet environnement en haute altitude.
CâĂ©tait loin dâĂȘtre Ă©vident, Ă 3 500 mĂštres on a 30 % dâoxygĂšne en moins, donc on est trĂšs essoufflĂ©. Puis, avant de sâacclimater, on a tous souffert de vertiges, de migraines, de nausĂ©es. Nous Ă©tions peu nombreux cela dit, en Ă©quipe hyper lĂ©gĂšre, câest ce qui nous a permis de tourner le film plus simplement. Pour toute la partie escalade, je jouais et je mâoccupais du son et jâĂ©tais accompagnĂ© par un chef opĂ©rateur alpiniste et deux guides de haute montagne. Vous savez, mĂȘme en juillet, Ă cette altitude, il peut neiger. Il a mĂȘme fait moins 20 mais câĂ©tait cependant motivant, car on sortait du confinement du COVID. Nous Ă©tions au-dessus des nuages, nous dormions dans un refuge. CâĂ©tait une magnifique et fabuleuse aventure.
Parlez-moi de Pierre, le personnage que vous interprétez.
Tout dâabord, jâavoue ressentir la nĂ©cessitĂ© de jouer dans mes films comme ça a Ă©tĂ© le cas pour Vincent nâa pas dâĂ©cailles. Et si on me demande pourquoi, je rĂ©ponds pourquoi pas? Mes thĂ©matiques sont trĂšs personnelles et prĂšs de choses qui me travaillent. Dans la vie, jâai besoin de ressentir physiquement les choses. Faire un film, câest vivre une expĂ©rience, des choses que jâaurais beaucoup de mal Ă dĂ©lĂ©guer. Ressentir le froid, lâĂ©puisement, ĂȘtre au cĆur de ce dont parle le film, ça mâest essentiel. Je ne joue pas dans dâautres films, mais je joue dans les miens. Mon personnage est proche de moi. Je ne suis pas acteur, alors il a forcĂ©ment ma timiditĂ©, ma retenue. Je nâai rien contre les dialogues, mais il y en a peu dans mes films, car jâaime bien cette Ă©conomie qui amĂšne Ă sâexprimer un maximum dâautres choses comme le son, les silences. Mon film est initiatique. Pour trouver une raison de vivre, dâĂȘtre bien dans ce monde, Pierre prend le risque de disparaĂźtre Ă jamais pour mieux redescendre vivre avec les hommes.
Vincent nâa pas dâĂ©cailles Ă©tait un film de superhĂ©ros sans en ĂȘtre vĂ©ritablement un, sans les codes hollywoodiens, tout comme La Montagne qui a tout du drame fantastique sans pour autant respecter les codes du film de genre habituel.
Câest que le mot « genre » est codifiĂ© comme le sont les films de zombies ou de possession. Mes films, Ă la grosse diffĂ©rence de ceux-ci, sont trĂšs doux. Les spectateurs ressentent un apaisement en les regardant. Notre corps ralenti, ce nâest pas violent, ça ne fait pas peur, donc la dimension fantastique vient sâinsĂ©rer dans quelque chose de trĂšs rĂ©aliste. Dans La Montagne, le fantastique vient dâune rencontre avec du fantastique, ça fait partie du rĂ©cit sans en ĂȘtre le cĆur.
Parlons justement du fantastique et de ces créatures qui apparaissent dans la grotte. Vos trucages sont, comme on dit en France, bluffants.
Je suis convaincu que les spectateurs habituĂ©s aux mille et un effets spĂ©ciaux numĂ©riques seront quand mĂȘme sensibles et touchĂ©s quand ils verront des trucages qui sont rĂ©alisĂ©s lors du tournage, des choses uniques. Câest ce qui se passe dans mes deux films. Câest comme un tour de magie, il nây a rien de numĂ©rique, tout est fait sur place. Il y a quelque chose de vĂ©ritable dans ce quâon voit Ă lâĂ©cran et ça joue en faveur du film, je crois.
Malgré ses grandes qualités, votre cinéma est à part, donc difficile à financer je présume?
Câest vrai que ce nâest pas facile de trouver du financement. Il y a une tendance Ă tout formater, alors que je fais des choses atypiques. Mon modĂšle, câest Bong Joon-ho et son film The Host oĂč il mĂ©lange le politique, le social, le fantastique, le gore, la comĂ©die. On rit et on pleure avec ce film. Dans la vie aussi on brasse beaucoup dâĂ©motions. Heureusement que mon premier film a bien marchĂ©. On mâa alors fait confiance pour le second, toujours un petit budget cela dit.
Dâintituler votre long mĂ©trage tout simplement La Montagne, ça vous paraissait Ă©vident?
Oui, car mon sujet est simple, comme son titre. Les gens ont envie de simplicitĂ©. Mon personnage retrouve quelque chose de lâordre de lâenvie, du dĂ©sir, de lâimpulsion, et je pense que ça peut faire du bien aux gens qui iront le voir. Câest ce qui sera au cĆur de mon prochain long mĂ©trage. Ce sera encore quelque chose de trĂšs physique, car il y aura de la danse et aussi du fantastique. Il sera drĂŽle, il fera peur et sera chorĂ©graphique. |
Cette entrevue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre des Rendez-vous du cinĂ©ma 2023 dâUniFrance.