Crédit photo : Carole Bethuel
Entrevue avec François Ozon et Sophie Marceau pour la sortie du film Tout s’est bien passĂ©
Le cinĂ©aste François Ozon rĂȘvait de travailler avec Sophie Marceau depuis longtemps. AprĂšs quatre rendez-vous manquĂ©s dont un pour 8 femmes, les astres se sont finalement alignĂ©s lorsquâil lui offrit le rĂŽle principal dans lâadaptation filmique du rĂ©cit dâEmmanuĂšle Bernheim, Tout sâest bien passĂ©. Cette derniĂšre, dĂ©cĂ©dĂ©e en 2017, Ă©tait une collaboratrice de longue date dâOzon, coscĂ©narisant notamment Sous le sable et Swimming Pool. Tout sâest bien passĂ©, publiĂ© en 2013, raconte comment un AVC ayant frappĂ© le pĂšre de lâĂ©crivaine, avait fait en sorte de pousser cet homme Ă demander Ă ses deux filles, dont EmmanuĂšle, de lâaider Ă se rendre dans un centre en Suisse qui lui permettrait de mettre fin Ă ses jours dans le cadre dâun programme dâaide mĂ©dicale Ă mourir (suicide assistĂ©). Le rĂ©alisateur et son actrice principale nous parlent de ce film, rĂ©sultat de leur premiĂšre collaboration au grand Ă©cran.
François, vous Ă©tiez proche dâEmmanuĂšle Bernheim et pourtant vous avez attendu de nombreuses annĂ©es avant dâadapter son rĂ©cit, pourquoi?
François Ozonâ: EmmanuĂšle mâavait fait lire son livre, car elle voulait que je lâadapte. Et bien que je lâaie beaucoup aimĂ©, câĂ©tait tellement une histoire intime et personnelle que, sur le coup, je nâĂ©tais pas sĂ»r dây arriver. AprĂšs son dĂ©cĂšs, jâai relu le livre avec une autre perspective et je me suis finalement lancĂ© dans son adaptation.
Sophie, François vous avait auparavant offert quelques rĂŽles dans ses films, mais ça ne sâĂ©tait jamais concrĂ©tisĂ©. Pourquoi cette fois-ci avoir dit oui Ă sa nouvelle proposition?
Sophie Marceauâ: Ăa fait quinze ans que je croise François et je pense que ça a pris tout ce temps pour que nous soyons rendus au mĂȘme endroit. Un film qui se rĂ©alise, câest dĂ» Ă la concordance de plein de choses. Il y a le scĂ©nario, nos expĂ©riences, ce qui nous intĂ©resse maintenant et le rapport de confiance et de comprĂ©hension rĂ©ciproque. Ă lâĂ©poque, François et moi, on nâĂ©tait pas sur la mĂȘme longueur dâonde, alors quâaujourdâhui, sâil me reproposait un projet, jâen serais ravie, car jâai bien vu quâil adore le cinĂ©ma et les acteurs. Câest sa vie. Il est trĂšs curieux, voyeur. On sent cet amour quâil a de raconter des histoires et celle de Tout sâest bien passĂ© mâa beaucoup plu. Au dĂ©part, elle paraĂźt banale puis devient une sorte de remise en question familiale avec un cĂŽtĂ© hors-la-loi provoquĂ© par un pĂšre entĂȘtĂ© jouĂ© par AndrĂ© Dussollier, lui qui, dâailleurs, mâa beaucoup fait rire sur le tournage.
Tout sâest bien passĂ© parle de la volontĂ© de mourir dâun homme ĂągĂ©, diminuĂ© par la maladie et qui demande Ă ses deux filles de lâaider Ă en finir et pourtant, ce nâest pas pour autant un long mĂ©trage sur la mort comme tel?
Françoisâ: Il fallait faire un film du cĂŽtĂ© de la vie parce que, paradoxalement, câest lâhistoire dâun homme qui veut mourir justement parce quâil aime sa vie et quâil nâa plus la possibilitĂ© de vivre comme il le souhaite. Il regarde la mort en face. Il nây a rien de tragique, câest Ă la fois Ă©goĂŻste et courageux. Dans mes recherches, jâai appris que la plupart des gens abandonnent le projet dâen finir. Ils sâaccrochent Ă la vie. Mais de savoir quâils ont le choix, ça les aide Ă Ă©viter de sombrer dans un Ă©tat dĂ©pressif.
Sophieâ: Avec cette histoire, on apprend sur la mort, sur la fin de vie, car on nâen parle pas assez. Ăa nous met mal Ă lâaise. Le film fait lâeffet contraire, car il permet dâen parler avec une certaine libertĂ©. Mon personnage est pris lĂ -dedans et se dit quâil faut avancer, le tout sans tomber dans le pathos. La sociĂ©tĂ© nous parle dâimmortalitĂ©, de jeunesse Ă©ternelle et on se dĂ©shabitue de la mort comme rĂ©alitĂ©. Tout sâest bien passĂ© joue un beau rĂŽle face à ça.
François Ă©tait lui-mĂȘme derriĂšre la camĂ©ra. Quelle dynamique a-t-il apportĂ© au tournage?
Sophieâ: Câest important le rythme sur un film et avec François, il y en a. Quelquefois, câest trĂšs lent, surtout lorsque le rĂ©alisateur ne sait pas ce quâil veut ou que la technique est lourde. François, lui, a un tempĂ©rament impatient. Il veut ĂȘtre proche de ses acteurs. Il veut ĂȘtre dans lâintimitĂ© du jeu, dans la ligne du regard. Ăa apporte un autre rapport avec les acteurs et ça change la relation comme dans un rapport amoureux et câest rassurant. Il ne veut pas quâon rĂ©pĂšte, il veut quâon joue constamment, pour de vrai, donc tout sâaccĂ©lĂšre et ça a le mĂ©rite de nous maintenir dans lâĂ©nergie du moment.
On le disait, la mort est encore un sujet tabou en Occident, mais pourtant, on a lâimpression que la majoritĂ© des gens sont en faveur de lâaide mĂ©dicale Ă mourir, non?
Françoisâ: Oui, tout Ă fait. Mais bien que les Français soient majoritairement pour le suicide assistĂ©, Ă 80â%, notre gouvernement est encore trĂšs frileux face Ă cette question. On a un vieux fond conservateur et catholique qui fait peur aux politiciens. Macron avait promis de changer la loi, ce nâest pas arrivĂ© et avec les Ă©lections, ça risque dâĂȘtre encore reportĂ©. Cela dit, le suicide assistĂ©, câest aussi une affaire de riches prĂ©sentement. Les pauvres, ils attendent leur mort, car ils nâont pas les moyens dâaller en Suisse, dâoĂč lâimportance dâune loi nationale lĂ -dessus.
François Ozon est un cinĂ©aste prolifique comme en tĂ©moigne sa feuille de route composĂ©e de 21 longs mĂ©trages rĂ©alisĂ©s en 24 ans. Alors que Tout sâest bien passĂ© sâapprĂȘte Ă prendre lâaffiche au QuĂ©bec, le cinĂ©aste prĂ©sentait cet hiver, en ouverture du Festival de Berlin, son nouveau long mĂ©trage, Peter von Kant, adaptĂ© de la piĂšce de Rainer Werner Fassbinder, portĂ©e Ă©galement au grand Ă©cran en 1972. |
Cette entrevue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre des Rendez-vous du cinĂ©ma 2022 dâUniFrance.