Crédit photo : Laurence Grandbois Bernard
Entrevue avec le réalisateur Sébastien Pilote pour la sortie du film Maria Chapdelaine
AprĂšs nous avoir donnĂ© Le Vendeur, Le DĂ©mantĂšlement et La Disparition des lucioles, le cinĂ©aste originaire de Chicoutimi SĂ©bastien Pilote lance en septembre Maria Chapdelaine, son quatriĂšme long mĂ©trage. Sa plus rĂ©cente rĂ©alisation est fort attendue puisque sa sortie, annoncĂ©e en 2020, a Ă©tĂ© reportĂ©e de plusieurs mois en raison de la pandĂ©mie. Le film a nĂ©cessitĂ© plus de 30 jours de tournage, pour un budget total dâun peu plus de 7 millions de dollars. LâĂ©quipe sâest installĂ©e, au fil des saisons, dans le coin de Normandin, aux abords de la riviĂšre Ashuapmushuan. Le rĂ©alisateur nous raconte sa fascination pour le roman, sa quĂȘte de lâactrice idĂ©ale et le dĂ©fi de recrĂ©er le QuĂ©bec de 1910.
Le rĂ©cit de Louis HĂ©mon date de 1913 et a Ă©tĂ© publiĂ© tout dâabord en feuilleton, puis en roman en 1921. SĂ©bastien, quâest-ce qui fait quâaujourdâhui, vous vous dites quâil faut en faire une nouvelle version pour le cinĂ©ma, la quatriĂšme, aprĂšs notamment celle rĂ©alisĂ©e par Gilles Carle, en 1983, avec Carole Laure dans le rĂŽle principal?
Jâai vu la version de Gilles Carle quand jâĂ©tais Ă lâuniversitĂ© et je me suis aussi intĂ©ressĂ© au roman avec en tĂȘte un Ă©ventuel projet de documentaire. Câest une histoire qui me parle. Dâailleurs, dans Le Vendeur, jâavais un personnage qui sâappelait François Paradis. Le dĂ©clic sâest fait durant le tournage du DĂ©mantĂšlementâ: jâĂ©tais dans un chalet avec Gabriel Arcand et le seul roman qui traĂźnait, câĂ©tait celui-lĂ , et je lâai donc relu. Puis le projet de film est devenu une Ă©vidence, en continuitĂ© avec Le DĂ©mantĂšlement. Et le fait que le roman ait dĂ©jĂ Ă©tĂ© adaptĂ© trois fois, ça ne me dĂ©range pas du toutâ: lâĆuvre est riche et profonde pour que tous sây retrouvent Ă nouveau.
RecrĂ©er au grand Ă©cran le QuĂ©bec du dĂ©but du XXe siĂšcle et tourner au grĂ© des saisons, surtout lâhiver, câĂ©tait un immense dĂ©fi, non?
AprĂšs avoir travaillĂ© avec un troupeau de moutons sur Le DĂ©mantĂšlement, me lancer dans Maria Chapdelaine ne me faisait pas peur, malgrĂ© la complexitĂ© de lâaspect historique et la difficultĂ© de filmer en dĂ©cors naturels! On Ă©tait en rĂ©gion Ă©loignĂ©e, en pleine forĂȘt, sans Ă©lectricitĂ© ni eau courante, avec 150 scĂšnes Ă tourner dont plusieurs avec des enfants. On a filmĂ© avec les mouches lâĂ©tĂ© et le froid lâhiver et, en plus, la COVID sâest invitĂ©e alors quâil ne nous restait que deux jours de tournage. Pour se simplifier la tĂąche et tenir compte du budget, on ne pouvait se permettre une reconstitution Ă grand dĂ©ploiement. Heureusement, Maria Chapdelaine, câest une histoire dâhivernement, un huis clos familial dans une petite maison situĂ©e dans une clairiĂšre. On sâest concentrĂ©s lĂ -dessus pour en faire le centre de gravitĂ© et accentuer le sentiment dâisolement. Les astres Ă©taient alignĂ©s pour crĂ©er quelque chose dâĂ©pique et de simple Ă la fois.
La direction photo de Michel La Veaux est épatante et met en valeur le Lac-Saint-Jean, mais aussi les couleurs au crépuscule et les soirées à la chandelle.
Ăa a Ă©tĂ© beaucoup de travail dâĂ©clairage naturel et de camĂ©ra. Il fallait en utiliser une trĂšs sensible. On voulait se rapprocher de la VistaVision et donner une impression de 70 mm, de format Imax. On tournait en 6K et ça, câest rare au QuĂ©bec, car les exemples de ce cĂŽtĂ©, câest 1917, Dune et le nouveau Top Gun.
La nouvelle venue, Sara Montpetit, a Ă©tĂ© choisie parmi quelque 1â300 candidates pour jouer Maria. Elle est beaucoup plus jeune que Carole Laure dans la version de Gilles Carle.
Absolument et câĂ©tait voulu. On a lancĂ© un appel pour trouver la candidate idĂ©ale et ne pas faire la mĂȘme erreur que dans les adaptations prĂ©cĂ©dentes avec une actrice trop ĂągĂ©e. Je voulais une Maria aussi jeune que dans le roman, seize, dix-sept ans. Câest un personnage entourĂ© dâadultes, impressionnĂ©, intimidĂ©, qui parle moins et qui est Ă cheval entre le monde des enfants et celui des adultes. Dans une scĂšne, elle sâamuse avec sa petite sĆur puis se retrouve Ă jouer aux cartes Ă la table des adultes. Ăa explique son mutisme mais Ă dix-sept ans, câĂ©tait aussi lâĂąge oĂč on pensait au mariage Ă lâĂ©poque. Maria, câest le personnage central, oui, mais le film est avant tout un portrait de famille qui aurait pu sâappeler Les Chapdelaine. Un long mĂ©trage oĂč tout Ă©volue, car rien nâest figĂ© dans cette histoire. Le roman et le film misent sur la mĂ©tamorphose des personnages et des saisonsâ: câest ce que je voulais faire ressortir.
Est-ce juste de dire que ressortent du film un fort élan de survie face au climat et aussi énormément de pudeur dans les relations entre les différents personnages?
Oui, car en 1910, dĂ©fricher une terre, câest du survivalisme! LâHomme du sud de Jean Renoir est dans la mĂȘme lignĂ©e. Dans le temps, face aux gros hivers quĂ©bĂ©cois Ă moins 40, il fallait se mettre en hivernement, Ă©conomiser ses ressources, ses Ă©nergies. Ces gens ont fait dâĂ©normes sacrifices mais, comme me le racontait ma mĂšre, toujours avec un sentiment de bonheur et une unitĂ© familiale trĂšs forte. La pudeur, elle, vient de lâĂ©thique paysanne, qui apporte une distanciation naturelle. Ă lâĂ©cran, ce nâest pas la COVID qui fait que mes personnages ne se collent pas, câest plutĂŽt comme dans les romans de Jane Austen, il y a une rĂ©elle retenue. CâĂ©tait trĂšs diffĂ©rent dâaujourdâhui, mais les gens peu Ă©duquĂ©s avaient un niveau de dĂ©veloppement social trĂšs Ă©levĂ©. Lâart de la parole Ă©tait trĂšs important pour occuper le temps. On savait raconter des histoires et on savait Ă©galement Ă©couter. |